Magazine Journal intime

La Firme (welcome to the jungle)

Publié le 15 avril 2008 par Corcky
Crédit photo: Monette Enriquez/FlickR 

Tu connais le principe du safari-photo au Kenya?

Il s'agit de partir dans une réserve naturelle remplie de gentils animaux que tu n'as vus, jusque-là, que dans les documentaires de la Cinquième à deux heures du matin, après une soirée de beuverie au cours de laquelle tu t'es suffisamment murgé pour avoir la gerbe, mais pas assez pour t'écrouler comme une bûche et ronfler douze heures d'affilée.
Le but, c'est de ramener le max de clichés qui épateront tes amis, dans un délai relativement court.
Et si vraiment t'as foiré toutes tes prises de vue, tu peux encore te rattraper à l'aéroport de Nairobi en achetant deux paquets de diapositives Kodak, que tu projetteras ensuite dans ton studio à ta bande de potes ébahis qui pousseront des "ah" et des "oh" admiratifs.

Eh bien, au boulot, tu peux faire quelque chose d'assez similaire.

Le meilleur moyen de découvrir la faune bigarrée qui t'entoure au quotidien mais que tu connais encore mal, c'est de participer à des réunions d'équipe.

L'écosystème salarial peut varier d'un endroit à l'autre, mais en règle générale, tu retrouves un peu partout les mêmes espèces, parce qu'elles sont extrêmement répandues, ayant essaimé dans toute la biosphère urbaine depuis les années 70 au moins.

Ainsi, au sein d'une ONG nationale particulièrement réputée, entre 13h30 et 17h.

Bien sûr, tu as le drogué.
Le drogué peut tenir cinq heures enfermé dans une salle de dix mètres carrés, à écouter des kilomètres de chiffres ou des énonciations de grands principes moraux (c'est selon) sans craquer une seule fois, à condition que tu lui fournisses les deux éléments qui conditionnent son existence salariale: caféine et nicotine.
Moyennant quoi, le drogué écoute sans ciller tout ce qui se dit, hoche la tête de temps en temps, se lève environ toutes les trente minutes pour aller à la machine à café dans le hall, revient quinze minutes plus tard, se rassied tranquillement et continue à hocher la tête.
Le drogué n'est jamais chiant, sauf si le chef déclare qu'on est à la bourre et que par conséquent, il n'y aura pas de pause jusqu'à 18h (à ce moment-là, le drogué passe de l'état "Bruce Banner" à la phase "Incroyable Hulk", et c'est pas beau à voir, surtout avec la coupe de cheveux de Lou Ferrigno).

Plus rigolo que le drogué: Le neuneu.
Le neuneu est plein de bonne volonté, tu as remarqué? C'est le seul participant qui apporte son agenda, un bloc-notes tout neuf, plusieurs stylos, des polycopiés en rapport avec le sujet du jour, et qui s'intéresse réellement à ce qui se dit.
Le problème, c'est que le neuneu a comme qui dirait de petites difficultés de compréhension. Va savoir pourquoi, y'a là-haut des fils qui ne se touchent pas. Comment dire ça?
Il est con, oui, voilà.
Ce qui peut poser problème, parce que le plus souvent, ton grand chef a un débit assez proche de la kalashnikov, alors que le neuneu aurait plutôt besoin qu'on lui parle à la manière des Teletubbies ("Hey!" , "wah!", "rouge!", "zoum!").
Le neuneu, c'est celui à qui tu auras beau expliquer les dispositifs RMI avec des couleurs et des étiquettes rigolotes, ben rien n'y fera, il confondra toujours avec Assedic.
Le neuneu, c'est le brave gars à qui tu auras expliqué la veille que monsieur Machin vient d'apprendre qu'il est séropositif et que donc, il ne va pas très fort, et qui le lendemain ira serrer la pince de monsieur Machin avec un grand sourire en lui hurlant:

- Alors monsieur Machin, ça va, la p'tite santé?

Forcément, en réunion, au bout d'un moment, ça coince, surtout quand on vient de passer vingt minutes à expliquer l'organisation des ponts du mois de mai, les jours fériés, les jours à rattraper, les astreintes et les reports d'heures supplémentaires, et que le neuneu s'exclame joyeusement:

- Ayé j'ai tout compris! Alors moi je pose mon 9 mai, ce qui fait que je bosse le 1er mais pas le 2, et que ça me compte sept heures en crédit.

C'est souvent à ce moment-là que ton chef se transforme en Hannibal Lecter, le même calme apparent, la même lueur de folie dans le regard, le même ton glacial quand il murmure:

- Non. C'est pas tout à fait ça, Pierre.

Oui.
Le neuneu peut être un tantinet pénible.
Surtout quand il combine sa connerie congénitale avec l'obséquiosité du...

...Fayot.

Le fayot, c'est celui (ou celle) que tout le monde a envie d'éclater contre le mur au bout de dix minutes.
Le fayot, lui aussi, a pris soin de ramener tout plein de matos pour la réunion, sauf que lui, il s'en branle, de la politique d'accueil des SDF en situation de décompensation psychiatrique. Tout ce qu'il sait, c'est que le Grand Manitou sera assis en bout de table, raison pour laquelle il t'a littéralement éclaté le tibia en début de réunion dans sa précipitation putassière pour occuper la place à droite de Dieu.
Le fayot ne fait pas que boire les paroles de ses supérieurs hiérarchiques: il les approuve vigoureusement toutes les deux minutes, en jouant des maracasses avec sa tête de pine. Parfois même, il se fend d'un "Tout à fait!" que personne ne lui a demandé et qui fait grincer les dents d'à peu près tout le monde, même du Grand Manitou, qui se dit que la brosse à reluire c'est agréable, mais qu'il faut pas pousser non plus.
Le fayot, on ne sait même pas pourquoi il suce autant, vu que chez nous, il n'y a pas de promotions, ni de primes de fin de mois. Peut-être qu'il se dit qu'il finira par passer cadre, avec l'ancienneté.
Le fayot, c'est un peu l'équivalent professionnel d'un ballonnement intestinal particulièrement douloureux.

Je ne t'ai pas parlé de la marmotte, parce qu'il n'y a pas grand-chose à en dire.
La marmotte s'installe à la dernière place, celle qu'on remarque le moins, et se pique en général un petit roupillon au bout de quinze minutes de réunion.
Selon les espèces, tu peux l'arroser de temps en temps, ou bien la retourner face au soleil.
Typiquement, la marmotte n'emmerde personne, et elle ne sert strictement à rien.

Et tu connais sûrement Terminator.
Terminator entre en salle de réunion comme on descend dans l'arène.
Par principe, Terminator critique absolument tout, dénigre les chefs de service (des larbins) et le Directeur (un cousin de Ceaucescu), brandit le Règlement Intérieur pour un oui ou pour un non, appelle à la grève au moindre pet de travers (hier, c'était parce que les toilettes du personnel du premier étage fuient) et passe le reste du temps à ricaner dès que quelqu'un ouvre la bouche. Terminator use et abuse d'un langage particulièrement beauf, comme "on est pas des pédés" ou encore "ça m'en touche une sans faire bouger l'autre".
Terminator, c'est un peu l'enfant caché d'Henri Krazuki et de Jean-Claude Convenant.

Ah oui, et puis j'ai oublié celle par qui ce post a commencé, celle qui a motivé cet article parfaitement inutile mais ô combien jubilatoire de par son agressivité gratuite et ses jugements à l'emporte-pièce parfaitement injustes:

La psy.

Rahhhhhh, la psy!
La psy est éducatrice spécialisée, animatrice ou assistante sociale.
La psy s'est fadé l'intégrale de Freud et de Jung à la fac, d'ailleurs elle avait commencé un cursus de psycho, mais elle a bifurqué vers le social quand elle a "pris conscience des failles de son moi et de l'immense besoin de réparation" de son être profond du dedans.
La psy est gentille. Tellement gentille qu'elle en dégouline de douceur, de compassion et de compréhension gerbante.
Elle parle de transfert, de contre-transfert, d'inhibitions et de pulsions, d'actes manqués et de passages à l'acte.
La psy essaie tout le temps d'éviter les conflits dans son équipe. Elle est persuadée qu'elle te connait mieux que personne parce qu'elle t'a analysé à distance, discrètement, et du coup elle sait toujours mieux que toi ce que tu veux dire et ce que tu ressens.
La psy arrive toujours à reformuler à ta place, t'as remarqué? Par exemple, quand il y a baston entre le drogué, le fayot et le neuneu, elle prend un ton apaisant (un peu comme Mireille Dumas) et elle lève les bras pour réclamer le calme:

- Mais non, Pierre, Hervé ne t'a pas traité d'enculé par animosité. Non, ce qu'il y a, c'est que Pierre a ressenti une certaine frustration quand Ahmed lui a dit qu'il ne le remplacerait pas le 8 mai, parce que Pierre avait sans doute des projets personnels qui lui tenaient à coeur, alors quand l'emmerdeuse est venue soutenir Ahmed et qu'elle a dit à Sebastien qu'il n'était qu'un débile mental qui avait dû voter Sarkozy, je pense qu'elle manifestait surtout une forme de solidarité intrinsèque, une manière d'extérioriser le "ça" qui nous étouffe, ce "Surmoi" un peu sauvage qu'on ne laisse pas assez s'exprimer dans nos sociétés lisses et uniformisées, ce que Myriam a parfaitement compris quand elle a dit à Titi que le directeur est un petit connard prétentieux et mal baisé, manière un peu puérile d'affirmer son opposition assez impulsive à toute forme d'autorité...

Voilà.
C'est la psy.

Et tu sais ce qui est formidable, avec elle?

C'est qu'en fin de réunion, quand le fayot, le neuneu, le drogué, la marmotte, le Grand Chef, Terminator et tous les autres se sont bien foutu sur la gueule, eh ben c'est de toute façon elle qui met tout le monde d'accord, dans un grand élan de réconciliation générale, et tu entends alors ce cri du coeur qui jaillit de douze gorges irritées:

- MAIS TU VAS LA FERMER, TA GUEULE?


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