Dans le fond de mon 5ème rang du bout du nombril du monde, à cheval sur les lignes de Padoue, St-Octave et pis Métis.
J’ai l’impression de vivre dans un poème
Debout sur une frontière.
Je peux comparer les cils de mon chum à des troncs de bouleaux sous le soleil couchant d’hiver parce que j’en vois souvent
Je peux dire que sa peau sent le sapin sans que ce soit un cliché
Si mon chat meurt j’vas pouvoir l’enterrer dans ma cour
Pis sur comme épitaphe j’vas pouvoir écrire «Ci-Git Cabotine Pelletier, chatte obèse, guerrière épique, terreur des mulots de maison».
Avez-vous déjà marché sur un mulot mort en pieds de bas en rentrant d’une brosse? Moé, j’peux dire que oui.
En revenant d’une ride de raquettes, j’ai ramassé les plumes d’un geai bleu qu’un rapace avait dévoré
J’vas m’faire des boucles d’oreilles avec pis j’vas m’prendre pour une sorcière
Pis rendu au printemps j’vas dire sur facebook que je danse tout nu pour célébrer Beltane
Quand le phare de Métis arrête de tourner pendant les froids de janvier, j’peux dire que je sais quand y va se remettre en marche parce qu’y dégèle toujours au printemps.
J’peux dire que je me suis déjà coincé un mamelon entre deux bûches en rentrant du bois
Ça ça fait de moi quelqu’un d’unique
J’peux dire que dans le bois en face de chez moi j’ai répertorié des traces de lièvres, de perdrix, d’écureuils, de chevreuils, d’orignaux, de coyotes, de renards, de pékans, de lynx
Ça m’fait peur pis j’aime ça
J’peux dire qu’y’a une belette sanguinaire qui se permet de me narguer dans ma cuisine
J’ai décidé de l’appeler Bily
J’peux dire que je l’sais c’que ça sent une mouche!
J’peux dire : au mois de mai, les milliers de grenouilles, leurs cris dans la nuit, comme des criquets humides
J’peux dire les voisins qui m’appellent en octobre pour venir goûter le cœur et le foie de la bête fraîchement tuée
J’peux dire que j’ai vu le premier vol de trois bébés pics-bois qui sautaient du nid
Pis que j’ai passé l’été la peur au ventre que les renards les mangent
Des fois l’ombre des oiseaux qui passent de l’autre côté de la fenêtre traverse la table où je m’installe pour écrire
J’peux dire que j’écris sur le dos des oiseaux
La roche coupante d’un bord de grève m’a fendu la main
Le poêle à bois m’a brûlé l’poignet
Les épines du rosier sauvage me transpercent les doigts
Les guêpes me piquent à l’automne
J’ai des tâches rouges de fraises sauvages sur les mains l’été
Les ongles noirs de terre
Les genoux verts de pelouse
Les paumes jaunes de pissenlit
C’est pas moi qui écris de la poésie, c’est la poésie de mon coin de pays qui s’écrit sur moi
À force de vivre dans un poème c’est moi qui en devient un
Quand j’ai mal à l’âme, que je comprends plus le sens de la vie
J’vas jouer dehors pis je m’oublie
Je sors de moi-même et j’emprunte aux étoiles
Le sentiment fabuleux d’être dépassée