France Boutique (télé-à-chier)

102 315 233 d'euros.

C'est une somme, hein?

C'est le résultat du Téléthon 2007.
L'évènement le plus important du PAF, après Pékin Express, la Nouvelle Star et le JT de Pernault.
C'est chouette, je ne dis pas le contraire, ça prouve que la vue de ces pôv' petits nenfants en fauteuils roulants, la bave aux lèvres et les larmes aux yeux, parvient encore à émouvoir le Français moyen qui, scotché devant l'écran, sent monter en lui cette puissante vague de compassion, la même qui l'assaille parfois au 20 heures, entre la poire et le fromage, quand PPDA lui rappelle, après trois quarts d'heure d'infos régionales et bucoliques, qu'il y a quelque part, très loin, sur une autre planète, des petits enfants qui meurent de faim.

Ah, l'œil qui s'humidifie, la truffe qui vibre, le frisson qui parcourt l'échine du téléspectateur, quand on lui explique qu'il y a des gens malades, malheureux, même que ce sont des enfants, mâdââââme, et tenez-vous bien, des enfants français, bien de chez nous, que notre médecine occidentale si moderne est incapable de guérir! (C’est quand même vachement plus sexy de soigner des maladies génétiques françaises de souche, madâââme, que d’envoyer de banales doses de vaccins, quelques tonnes d’AZT et de vulgaires stocks d’antipaludéens en Afrique, merde!)

Remarque, dans le même temps, le Sidaction ramait péniblement pour récolter moins de 6 millions d'euros.

Oui mais c'est pas pareil.

Le Sida, c'est quand même encore la maladie des drogués, des pédés, des salopes qui n'avaient qu'à faire gaffe et des Noirs d'Afrique, qui comme chacun sait (d'ailleurs notre Président l'a dit lui-même l'année dernière, lors de son mémorable discours de Dakar), sont de grands enfants un peu simplets mais tellement gentils et souriants (en plus, ils sont bons en sport et en musique, c'est bien connu).
On parle de beauferie et de stéréotypes dignes de Super Dupont?
Mais oui.

Suis-je cynique?

Ouais, un tantinet, je l'admets.
Quitte à faire hurler la célèbre "ménagère de moins de cinquante ans" et le gros con qui passe ses soirées à se gratter les couilles devant Navarro.

Ces records de chiffres, ces millions d’euros qu’on nous exhibe comme autant de preuves de notre générosité, sur ce compteur digital géant, ce clinquant tape-à-l’œil, ces stars qui viennent sponsoriser l’évènement (le plus souvent, des « has been » qui veulent se refaire un peu de pub, à quand Jeanne mas et Christophe Lambert en parrain et marraine ?)…
J’avoue que tout ça commence à me donner la gerbe.
On est tous formidables. On sort la carte Bleue pour le Téléthon, on manifeste en tee-shirt « Che Guevara » en bêlant des slogans révolutionnaires, on veut que tout s’améliore, on a le cœur à gauche, gonflé à bloc, débordant de compassion et de charité, on se sent fiers et sûrs de nous parce qu’on donne dix euros aux  Restos du Coeur, à « SOS Palestine » et à « Sauvez les baleines », n'importe quoi du moment que ça passe à la télé (du coup, pour les Indiens d'Amazonie, ben c'est mort, hein).
D’ailleurs c’est juré-craché, on ne consommera plus n’importe quoi, la prochaine fois qu’on se paiera un Ipod, une télé Plasma, un ordinateur, une Playstation 3 ou une tenue de golf, on vérifiera qu’ils sont bien étiquetés Bio.
Mais ne nous demandez pas de ralentir notre consommation, d'abord c'est mauvais pour l'économie, et puis le 17 octobre, c'était la Journée mondiale du refus de la misère...on a tous refusé d'être pauvres, c'est pas du militantisme, ça?

Tout ce qu’on demande, c’est que les JT de 20 heures continuent à ne diffuser les images du Tiers-Monde qu’aux alentours de 20h35, histoire de nous laisser bouffer nos trucs estampillés Commerce Equitable en paix.
Et à part ça? Ben on continuera à voter Sarkozy et Berlusconi, parce que, comme disait Brassens, quand on est con, on est con.
Tu sais ce que ma môme a fait, hier?
J'étais en train de parler avec ma môman à moi.
Je lui disais qu'il fallait que j'envoie dare-dare du fric à mon p'tit frère, à Cuba, parce que j'avais reçu un mail alarmant dans lequel il me disait que ça rigolait plus, qu'il n'avait plus rien à bouffer en ce moment, que le moindre morceau de viande s'échangeait à cinq dollars et que sa grand-mère n'avait même pas une aspirine pour soulager les douleurs de son cancer.
Ma gamine, elle est à l'âge où il faut faire vraiment gaffe à ce qu'on dit, parce que c'est Bob l'éponge, elle entend tout, elle capte tout sans en avoir l'air, elle digère, et elle te ressort ça plus tard, et t'as pas l'air con quand elle te demande, entre les pâtes et le p'tit suisse , ce que c'est qu'un orgasme, et pourquoi Sarkozy est un con.
Tu te doutes bien qu'elle n'a pas perdu une miette de ce que racontais, à propos de ma famille qui crève la dalle sur cette île de merde où on ne peut même pas lacher une caisse sans que le gouvernement entier soit au courant.
Ni une, ni deux, la voilà qui file dans sa chambre et qui revient ventre à terre avec sa tirelire en forme de Babar.
- Tens, môman.
- Ben c'est quoi, ça, ma puce?
- C'est mon Babar avec mes sous z'à moi.
- Et qu'est-ce que tu veux que j'en fasse?
- Ben, que tu prennes les sous! Pour que tonton Camilo il puisse acheter à manger.
Voilà.
C'est ma gosse.
Et tu sais quoi?
Moi vivante, elle le regardera jamais, le Téléthon.