Comment tu prends une vingtaine d'années en pleine face

Hier après-midi, le soleil était doux, chaud et lumineux alors que j'assistais aux obsèques de mon prof et metteur en scène.
L'évènement en lui-même était particulièrement émouvant car c'était un homme qui s'investissait énormément pour les autres, pour les personnes en difficulté ou malades ou handicapées donc il y avait beaucoup beaucoup de monde de tous horizons.

Forcément, dans le lot, il y avait beaucoup de gens du lycée et du théâtre. Des profs, des anciens élèves...
Plus la foule envahissait le parvis, plus des têtes connues se profilaient. Des têtes dont on n'a plus forcément le nom et puis, comme aux réunions d'anciens, on va se voir, on se demande qui on est, quel lien nous rattachait au défunt et puis les souvenirs affluent !
Ceux qui sont liés à celui qui vient de nous quitter, ceux qui lui sont étrangers mais qui existent entre deux personnes qui se retrouvent quelques 20 ans après...
On y va de nos " rappelez-vous, c'était telle classe - année - pièce - rôle (rayez les mentions inutiles ou pas d'ailleurs !) !", " et tu continues à avoir des nouvelles d'untel ?", " quelqu'un a pensé à prévenir untel ?", " tu te souviens du festival - de telle représentation - des pelouses du lycée - du jour où... (rayez ou pas !) ?", " il était capable de piquer de ces colères... incroyables ! Mais ça redescendait aussi vite.", " et quand on était partis en Allemagne !", " t'étais encore là quand on a monté Hamlet ?", etc, etc
Et tout à coup, on prend 20 ans en pleine tronche !
On souffle la poussière sur les étagères de nos souvenirs. Les uns en appellent d'autres encore plus profondément enfouis.
Les profs se remémorent qui était dans quelle classe, quelle année et avec qui. Nous, on redécouvre des têtes de profs que nous croisions quotidiennement dans la cour et les couloirs.
Il y a eu des échanges de mail, de numéros de téléphone. Certains resteront sans suite, d'autres raviveront des amitiés enfouies mais pas oubliées.
Une chose est sûre, on s'est engagés à ce que nos prochaines retrouvailles ne se fassent pas autour d'un autre cercueil et, pour certains, nous y arriverons, c'est sûr !

Serge était de ces profs et hommes qui marquent les vies qu'ils croisent.
Il nous a sans doute marqués d'une façon ou d'une autre par sa pédagogie, son humour " so british", son âme droite et honnête mais, une chose est sûre, quelqu'un hier disait qu'il nous avait à tous, les élèves, la possibilité d'être des adolescents en plus d'être des élèves au sein du lycée.
Il nous a inculqué à tous des valeurs, des passions, de la curiosité, de l'enthousiasme, des choses qui nous habitent et qui ont contribué à faire de nous ce que nous sommes et tout cela bien au-delà de ses cours !
Non, il n'était pas un prof du genre de celui des poètes disparus (non, les cours avec lui, c'était plutôt l'angoisse... Bon, ok, tous ceux qui l'ont eu connaissent encore parfaitement leurs verbes irréguliers sur le bout des doigts...) mais il savait aller chercher au fond de nous le meilleur quel qu'il soit dans quelque domaine que ce fut en tant qu'êtres en devenir, en construction...
Hier, nous avons tous pris 20 ans en pleine face, nos chemins ont pris des directions très opposées mais, tous, nous étions liés par un point commun : ce monsieur nous a à tous appris quelque chose qui nous meut encore aujourd'hui, qui nous rassemble par delà les années, les orientations, les horizons. Un petit bout de lui survit en chacun de nous...
Hier après-midi, ses obsèques ont été à son image : élégantes, pudiques et pleines de joies de vivre et de se retrouver...
Le soleil brillait et c'était le plus parfait des au-revoir dont on aurait pu rêver.

Merci Monsieur, bonne route Serge et salut l'Artiste !

A bientôt !

La Papote