Le carnaval, héritage des Saturnales, des Bacchanales, des Lupercales des Anciens, de la fête des Fous ou de l'Âne, a toujours été jugé scandaleux de par ses travestissements et excès de tous genres, mais il n´en a pas toujours été ainsi dans le monde antique. Ce n´est que sa dégénération qui obtient comme résultat d´être interdit maintes fois dans l´Histoire.
Le carnaval est une tradition archaïque liée aux cycles saisonniers et agricoles. On fait dériver le mot carnaval de carne (pour caro, chair) et levare (lever, enlever, ôter) pour se dédommager de l'abstinence imposée pendant le Carême.
L’historien des religions Mircea Eliade écrit : « Toute nouvelle année est une reprise du temps à son commencement, c’est-à-dire une répétition de la cosmogonie. Les combats rituels entre deux groupes de figurants, la présence des morts, les saturnales et les orgies, sont autant d'éléments qui dénotent qu’à la fin de l’année et dans l’attente du Nouvel An se répètent les moments mythiques du passage du chaos à la cosmogonie »8. Eliade écrit encore : « Alors les morts pourront revenir, car toutes les barrières entre morts et vivants sont brisées (le chaos primordial est réactualisé) et reviendront puisqu'à cet instant paradoxal le temps sera suspendu et qu'ils pourront donc être de nouveau contemporains des vivants »8. Eliade souligne que les peuples ont « d’une manière profonde le besoin de se régénérer périodiquement en abolissant le temps écoulé et en réactualisant la cosmogonie »8.
Dans l’essai Le Sacré et le Profane Mircea Eliade écrit : « L'abolition du temps profane écoulé s’effectuait au moyen des rites qui signifiaient une sorte de « fin du monde ». L'extinction des feux, le retour des âmes des morts, la confusion sociale du type des saturnales, la licence érotique, les orgies, etc. symbolisaient la régression du cosmos dans le chaos »9.
Les coutumes sociales extravagantes du carnaval rappellent les célébrations de l’équinoxe du printemps, dont les Sacaea babyloniennes (akitu assyrien) et le Norouz iranien : on y célèbre la victoire du nouvel an sur l’ancien.
La fête akitu apparaît dans des textes relatifs à plusieurs des villes majeures du pays de Sumer, dans la seconde moitié du -IIIe millénaire. Elle est notamment attestée à Ur, Uruk et Nippur. La première est peut-être la cité d'où est originaire cette fête, qui s'y déroulait alors deux fois dans l'année, aux deux équinoxes (à l'équinoxe jour/Vie et nuit/Mort ont une durée identique, la variation journalière de la durée du jour et de la nuit est la plus grande, et le Soleil se lève à l'Est/naissance et se couche à l'Ouest/décès). La date de l'équinoxe peut se déterminer en observant le lever du Soleil, par rapport au point situé plein Est (ou plein Ouest pour le coucher) : l'équinoxe de printemps a lieu le jour où le Soleil cesse de se lever au sud de ce point, pour se lever au nord (et inversement pour le coucher du Soleil, et/ou pour l'équinoxe d'automne). L'instant exact peut s'apprécier à partir de l'azimut solaire à ces deux levers consécutifs, en interpolant le moment où le Soleil passe à l'azimut 90° (ou 270° pour le coucher).
L’Akitu était à l’origine la fête du printemps sumérienne consacrée au couple Inanna/Ishtar (déesse de l’Amour et de la guerre, identifiée à la planète Vénus, Étoile du matin) et Dumuzi (dieu-pasteur et dieu de la fertilité, berger-roi – le cinquième roi légendaire antédiluvien qui régna avant -2 900 sur Bad-Tibira ‑ uni à Inanna) dans un très ancien rite de mariage sacré.
Dans la Descente d'Inanna aux Enfers, il est choisi par sa parèdre (« qui est assis à côté de : divinité souvent inférieure en prérogative, habituellement associée dans le culte à un dieu ou une déesse plus influent, ici Inanna) pour la remplacer aux Enfers. Inanna remonte sur Terre, accompagnée de démons envoyés par les dieux des Enfers pour la surveiller et pour trouver une victime de substitution. Elle se rend d'abord à Umma et à Bad-Tibira, dont les divinités tutélaires se prosternent devant elle, échappant ainsi à la mort. Elle visite ensuite Kullab, où réside son époux Dumuzi, qui lui l'accueille sur son trône, dans ses plus beaux vêtements. Inanna, furieuse de le voir aussi peu respectueux, dit aux démons de s'emparer de lui, et de l'emmener aux Enfers à sa place. Il est donc mort (ce qui a donné naissance à des textes de lamentation), et est alors considéré comme une divinité infernale. Il se fait cependant remplacer une moitié de l'année par sa sœur Geshtinanna. Ainsi le passage des saisons trouvait une explication dans la vie des dieux, le retour de Dumuzi sur terre étant vu comme le début du renouveau de la nature. Cela est notamment marqué dans les rituels mésopotamiens par le mariage sacré (hiérogamie, cf. Institutionnalisation et encadrement de la masculinité dans la reproduction), dans lequel les rois sumériens interprétant Dumuzi s'unissaient rituellement à la déesse Inanna (la scène se terminait par un coït avec la grande prêtresse de son temple, consommé devant la multitude), pour marquer le retour du printemps. Le cours de la nature dépend donc du roi (« Souveraineté et Fécondité sont des puissances solidaires », dit Dumézil), son affaiblissement et la mort naturelle qui s'ensuivraient compromettraient la vigueur de tous. On tue donc le roi quand il commence à décliner parce qu'il ne faut pas que sa maladie se communique à son peuple. D'autre part, on renouvellera périodiquement sa vigueur (par exemple au moment de l'année où tout est censé repartir à zéro) en le supposant mort, puis ressuscité. Pendant son éclipse, un autre prendra sa place ‑ c'est ainsi que Phaéton se substitue au Soleil ‑ et périra aussitôt, laissant le roi recommencer un nouveau règne avec l'appoint des forces libérées par la mort de la jeune victime.
Ainsi, une cérémonie des mystères encore plus importante que celle de la noce sacrée était celle de la mort et de la résurrection de Marduk. On récitait l'Enuma-Elish, la représentation rituelle de la mort et de la résurrection du monde. Marduk étant aux Enfers, le monde était ramené au temps du chaos primordial symbolisé par Tiamat comme serpent gigantesque (à qui l'on opposait Marduk, le dieu du renouveau). La mort de Tiamat signifiait l'émergence d'un monde nouveau.
La mort du dieu était célébrée par une inhumation rituelle, où le corps était déposé dans un caveau. Pendant ce temps, l’annonce de la mort de Marduk suscite une émeute dans la ville ; les désordres sont considérables. Si l’on en juge d’après certaines données sumériennes, en partie chez les auteurs grecs des époques avancées, ces troubles auraient dégénéré en une sorte de carnaval : le souverain de la terre et des cieux n’étant plus là, tous les liens sont rompus, les serviteurs deviennent les maîtres, les esclaves prennent toutes les libertés. Le roi, dont la présence est nécessaire aux mystères, est remplacé par un souverain de mascarade, un criminel condamné à mort, que l’on revêt des vêtements royaux et des insignes régaliens, le sceptre et la couronne. Il lui est permis ces jours-là d’en agir à sa guise et de faire ripaille ; mais sa fortune est de courte durée, car dès la fin de la fête il est battu de verges et pendu. Il apparaîtrait que le Zoganes (le substitué), durant les cinq jours de son ministère, personnifiait non seulement le roi, mais le dieu babylonien Marduk lui-même. La réunion des caractères divin et royal en une même personne est si commune qu’il ne faut pas nous étonner de la rencontrer dans l’antique Babylone. Il n’est pas non plus nouveau de voir le faux roi des Sacaea mourir, en qualité de dieu.
Le rituel des Sacaea babyloniennes est connu par des auteurs grecs. Dans le IVe discours de Dion Chrys. sur la royauté (ch. 69), Diogène raconte l'histoire à Alexandre pour lui montrer la vanité des attributs royaux.
Ces fêtes se déroulaient entre la nouvelle lune et la pleine lune de printemps. Elles mettaient en scène la mort du dieu Marduk (à l’origine dieu agraire, il symbolisait au départ l'action fertilisante de l'eau car, fils de Enki/Ea, il est issu de l'Apsû : il fait croître la végétation, mûrir le grain), son séjour au royaume des morts où son combat contre les puissances du Chaos (menées par Tiamat) allait assurer le triomphe de la vie, et recréer le monde. Tiamat est la mère de tout ce qui existe, incluant aussi les dieux eux-mêmes. Son époux est Apsû, la personnification des abîmes d'eau douce qui gisent sous la terre. De leur union, de l'eau salée de la mer et de l'eau douce des abîmes, naissent les deux premiers dieux : Lachmu et Lachamu, parents d'Ansar et de Kisar, grands-parents d'Anu et de Ki qui enfanteront Enlil et Ea ainsi que les autres dieux de l’époque historique.
Marduk, après sa victoire contre Tiamat, devient le dieu unificateur car toutes les vertus divines fusionnent en lui : il supplante son oncle Enlil comme dieu suprême du panthéon. Dieu de la cité de Babylone, c’est lui qui organise l’univers, qui établit les demeures des dieux, qui fixe le cours des astres ; c’est lui qui crée l’humain de son sang : il est le maître de la vie, le grand guérisseur et prend la place de son père Ea dans les incantations magiques.
Chaque hiver, on pensait que Marduk était obligé de vaincre les monstres du Chaos pour renouveler le monde. L'humain devait aider son dieu créateur dans ce combat et pour cela les Mésopotamiens tenaient un festival du nouvel an, appelé Zagmuk (en sumérien et Akitu en akkadien, signifiant « commencement de l'année »), durant les douze premiers jours du mois de nisan (« premiers fruits » : avril). La fête célébrait la victoire annuelle du Soleil et commémorait aussi le premier Zagmuk, celui qui vit la première victoire de Marduk sur les divinités chaotiques. Prières et incantations, purifications et offrandes rythmaient la cérémonie qui se déroulait en plusieurs parties. Les cérémonies commençaient le premier jour de nisan coïncidant avec l'équinoxe du printemps.
On ôtait son pouvoir au roi en lui retirant ses symboles royaux. Il devait ensuite mourir avant la fin de l'année pour rejoindre Marduk dans les ténèbres souterraines et l'aider dans son combat. Un nouveau roi le remplacerait sur son trône. Pour sauver sa vie, le vrai roi cédait sa place à un substitut qui était sacrifié pour la cause. On choisissait un criminel et on l’habillait des vêtements royaux, lui accordant le respect et les privilèges dus à un roi véritable.
Pendant la durée de ces fêtes dites saquaïques (ou fêtes des tentes), tout esclavage disparaissait pour faire plaisir à la déesse. On retournait au chaos primordial. « Toutes les distinctions de rang que la hiérarchie sociale a mises à la place de la fraternité primitive sont supprimées. Ishtar, représentée par une courtisane, préside la fête. Ses yeux sont noircis au stilbium, ses membres chargés de joyaux. Elle se prélasse sur un divan magnifique, à l’ombre d’une haute tente. Devant elle s’étalent des tables chargées d’huile et d’encens. Elle attend l’arrivée de l’amant divin et de sa suite [1]… ». Ainsi la décrit Ezéchiel : « Tu t’es assise sur un lit d’apparat, devant lequel une table était dressée où tu avais mis encens et huile. On entendait (devant toi) la voix joyeuse d’une foule insouciante, à cause de la multitude des hommes amenés du désert (XXIII, 41). »
Le conjoint qu’on lui destine et qui est appelé Zoganes prend place sur un trône. Les insignes de la royauté marquent son nouveau rang. Pour le peuple, il incarne Hercule, comme la prostituée représente Ishtar. Lui a revêtu la robe transparente et les bijoux des prostituées lydiennes et il s’occupe à carder la laine comme Sardanaple ou Hercule aux pieds d’Omphale. Toutes les concubines du souverain sont à sa disposition.
Ainsi s’écoulent fête à la fin desquels, est brûlé vif sur un bûcher. Comme Hercule sur l’Œta. Alors le pouvoir du roi qui avait abdiqué en faveur de l’esclave est restauré.
À la fin des cinq jours de festivités, après que le Zoganes se soit uni à la prostituée, on arrachait ses habits à ce faux-roi et on l’exécutait, épargnant ainsi la vie du vrai roi. Le feu (pyra) dévore le Zoganes, roi de la fête qui devait porter tous les bijoux dont les courtisanes rehaussaient leurs charmes. Cette immolation en l'honneur de Marduk assurait la fertilité des champs.
Le jour du nouvel an assyrien, le roi ayant abdiqué, celui-ci ne retrouvait sa puissance qu’après être passé dans le lit d’Ishtar. On a trouvé à Tell Asmara des figurines de plomb qui représentent l’union du roi et de la déesse. L’homme est debout et la femme à moitié étendue sur l’autel. Le roi se glorifie de ses heureuses amours avec la déesse. « Il lui avait dressé un lit de cèdres et alors la déesse l’a embrassé… ». L’origine sexuelle du pouvoir et sa restauration solennelle par des rites sexuels ne sont pas si exceptionnels, même s’ils ne s’entourent pas de tout le décorum et de toutes les résonances mythiques des fêtes saquaïques. Puisque le souverain est d’abord tenu pour responsable de la prospérité de son peuple et que cette prospérité est surtout agricole, il faut que le souverain participe au pouvoir du féminin. C’est pourquoi le coït pratiqué avec la grande prêtresse est souvent un instrument juridique d’accession ou de conservation du pouvoir. Pour célébrer la victoire de Marduk, on organisait des défilés dans la rue principale et des régates sur l'Euphrate. On se rendait des visites et on s'échangeait des cadeaux.
Les Perses avaient une fête similaire à Zagmuk qui s'appelait Sacaea (qui proviendrait de « cerf », animal puissant qui renouvelle chaque années ses bois, ou du chien qui est lié à la Mort et à la guérison ; voire de « être puissant » ou « bouger » au sens de mener une existence nomade). Durant celle-ci avait lieu aussi un échange de rôles, mais au niveau des esclaves qui devenaient les maîtres et les maîtres qui devaient obéir. Les inversions des rôles, l'élection du roi d'un jour et les mascarades faisaient parti de cette fête.
Etant donné la quantité d’informations mythologiques/historiques/astronomiques que nous devons synthétiser pour
donner une vue précise de tous les tenants et aboutissants de ces célébrations, l’article complet sera mis en ligne au fur et à mesure.