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Les nouvelles grands-mères

Publié le 24 mai 2013 par Rolandbosquet

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   Les grands-mères, autrefois, remontaient à une époque très ancienne. On les asseyait dans l’âtre où elles racontaient aux enfants des histoires horriblement excitantes. Et c’étaient des parents aimants qui perdaient leurs enfants dans la forêt profonde, des sorcières aux chaumières de pain d’épices qui les mangeaient les jours gras et des loups errants qui croquaient gaillardement les jeunes bergères innocentes. Lorsqu’elles étaient très usées, les grands-mères, on les glissait dans un lit en attendant qu’elles libèrent leur dernier souffle. Une grande cérémonie réunissait alors le village autour de leur dépouille qu’on accompagnait à pas recueillis à leur dernière demeure en disant du bien d’elles. Ces temps sont aujourd’hui révolus. Les grands-mères veulent ressembler à leurs filles qui veulent ressembler à leurs filles qui rêvent au loup dans les discothèques branchées. Elles ne parlent plus de prince charmant qui réveille d’un viril baiser une belle alanguie, de bête effrayante qu’un sourire ingénu transforme en éphèbe grec ni même de jouvencelle qu’une rutilante pomme rouge emporte dans les songes les plus luxuriants. Elles courent les magasins en talons hauts à la recherche de l’improbable robe fuchsia qui affinera leur silhouette. Lorsqu’elles l’ont trouvée, elles se jettent dans des régimes incroyables pour pouvoir entrer dedans. Les villes d’eaux les accueillent avec mille attentions pour de longues séances de bains de boue, d’acrobaties en piscine avec maître-nageur agréé beau comme un apollon et diètes scientifiquement contrôlées par le docteur Dupont en personne. Elles ne sont pas encore veuves mais on sent bien que cela ne saurait tarder tant leurs maris sont conduits à fréquenter longuement les restaurants gastronomiques et les casinos en les attendant. Associés à l’ennui, ces ingrédients seront bientôt d’une redoutable efficacité. On versera une larme attendrie sur sa dépouille que l’on conduira au pas de charge à sa dernière demeure. L’avion pour Venise part à seize heures. Puis défileront Nice pour sa croisette et son Negresco, Vienne et ses enivrantes valses de Strauss et Buenos-Aires pour son langoureux tango argentin. A la noël, elle réunira sa famille autour du sapin pour respecter la tradition. A ses côtés, attentif et souriant, virevolte son nouveau coach. Il l’écarte de la marche traitresse fatale aux cols de fémur, coupe sa tranche de gigot en fines bouchées pour ne pas fatiguer son dentier et mesure avec précision vin léger et eau minérale qu’elle est autorisée à consommer par son vieux marabout d’origine bantoue. Il accordera une petite coupe de champagne sous le gui de la nouvel an. Mais une seule. Car, même de nos jours, les années laissent malgré tout des traces indélébiles. Bientôt, sa fille et son gendre se verront contraints de la glisser dans une maison de retraite pour veilles dames. Hélas, elle n’y pourra même pas y tricoter des brassières pour ses petits-enfants tant ses doigts seront devenus gourds. Mais une jeune infirmière s’occupera d’elle avec application. Son gendre, qui n’y sera pas indifférent, lui rendra alors de fréquentes visites. Jusqu’au jour inéluctable où …


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