Magazine Journal intime

Arachnophobia (Bernardo el Cousino loco)

Publié le 30 avril 2008 par Corcky

City Life 11





Tu as constaté, comme tout le monde, qu'il fait un temps de merde?
Malgré ça, il paraît que c'est le printemps.
Je dis "il paraît", parce qu'à première vue, comme ça, c'est pas flagrant, vu qu'on est encore loin, jusqu'à preuve du contraire, d'enfiler nos pantalons en toile légère et nos débardeurs moulants.

Entre parenthèses, j'ai essayé le coup du débardeur l'autre jour, au boulot, et j'ai eu le malheur de croiser mon collègue Pierre, qui m'a fait un grand sourire d'abruti avant de me lancer:

- Ah tiens, c'est l'printemps? L'emmerdeuse ressort ses marcels?

Pierre, il est sympa, mais il est un peu lourd. C'est le genre de mec très nature, la spontanéité incarnée, le type à qui les plus grosses conneries échappent en permanence sans même qu'il s'en rende compte, comme de crier à une collègue, du fond du couloir:

- Salut Paulette, ouah dis donc, t'as pas un peu grossi?

Il est aussi capable d'aller papoter avec un hébergé particulièrement déprimé, et même si tu as bien insisté sur le fait que le monsieur a le moral dans les chaussettes parce qu'il vient d'apprendre qu'il a un cancer, eh ben Pierre va lui serrer la pogne avec sa tête de con, tout sourire, et lui secoue vigoureusement la paluche en s'écriant:

- Ahhh, monsieur Machin, vous avez bonne mine, dites donc! Et sinon, ça va, la p'tite santé?

Le pire, c'est qu'il n'y met pas la moindre once de méchanceté, Pierre, parce que si c'était le cas, tu aurais moins de scrupules à l'attendre à plusieurs, planqués derrière une bagnole à la nuit tombée, avec des battes de base-ball.
Non.
Pierre, il est juste très spontané.
C'est un gentil connard, quoi.

Du coup, j'ai remisé le machin au fond de mon placard et j'ai ressorti mon pull préféré, celui avec le dessin d'un gros flingue accompagné du texte "Je suis fan de Bowling for Columbine".

Mais c'est pas de Pierre dont je voulais te parler aujourd'hui, j'y consacrerai un billet tout entier, un jour, qui s'intitulera "Le dîner de cons".

Donc, il paraît que c'est le printemps.
Que malgré tout, la nature est en fête et que l'écosystème retrouve une deuxième jeunesse.

Eh bien je peux te le prouver.

L'autre soir, au Nidouillé, j'ai subi une attaque particulièrement vicieuse et nénamoins foudroyante.
L'ennemi a profité de l'entrebaîllement funeste de la porte-fenêtre pour se glisser subrepticement dans la place. Après quoi, il s'est tapi dans l'ombre, silencieux comme un commando du GIGN, suivant la règle bien connue de l'empereur Sun Tzu: L'art de la guerre, c'est de soumettre l'ennemi sans combat.

J'étais sur le chemin des toilettes, regrettant déjà de devoir manquer cinq minute de téloche (les interventions hautement intellectuelles de Michel Denisot sur Canal Plus me font un peu l'effet d'une injection de novocaïne sur une dent carriée).
J'ai poussé la porte, me délectant par avance du bref moment que j'allais passer en ce lieu béni des dieux, ce hâvre de paix fraîchement repeint et carrelé par les bons soins de ma femme, quand soudain je l'ai vu.

Embusqué dans un coin, à la jonction du mur de droite et du plafond.
Enorme.
Gras.
BIen noir sur ce fond bien blanc.
Un cousin.
Le Godzilla de tous les cousins.
Tout en pattes filiformes et en ailes menbraneuses.

J'en ai laissé tomber mon exemplaire du Canard Enchaîné (oui, c'est névrotique mais quand je vais aux chiottes, j'ai besoin d'emmener le Canard Enchaîné).

- Mon amour?
- Vouiiiiiii?
- J'ai comme qui dirait un petit problème.
- Keskya?
- Ce sera plus simple si tu viens voir.
- Mmmmmm.

Ma sauveuse, ma zhéroïne, ma wonder-woman se pointe tranquillement trois secondes plus tard (j'entends à la télé Omar et Fred qui délirent sur Corinne Touzet).

- Alors?
- Là.

 Et je pointe Godzilla du doigt.

- Ben quoi?
- T'as vu?
- Oui. C'est un cousin. Les beaux jours reviennent. Les insectes aussi.
- ....
- ....
- ....
- Bon, tu vas le faire, ton gros pipi? C'est pas que ça urge, mais j'irais bien, moi aussi.
- Je t'en prie, passe devant, j'ai décidé de mouiller mon pantalon, plutôt.

Un tressaillement imperceptible de la lèvre supérieure, un léger frémissement des naseaux, le coin de la bouche qui se retrousse.
Elle sourit.
De plus en plus.
Maintenant, elle se marre franchement.

- L'emmerdeuse qui recule devant un gros moustique. On aura tout vu. Personne ne me croira.
- Je t'emmerde.
- T'as la trouille du méchant vilain petit insecte?
- Je vais te casser la gueule.
- Bouh qu'il n'était vilain le petit insecte!
- Quand j'en aurai fini avec toi, t'auras besoin d'une paille pour respirer.
- Tu veux que j'appelle SOS Fantoches?
- T'auras même besoin d'un anus artificiel pour...
- Ouais, ouais, c'est ça, on lui dira. Bon allez, je te laisse en tête à tête avec Cousin Bernardo, va!

Et elle tourne les talons et s'en va dans le salon, me laissant seule face au monstre.


Q
ui ne bouge pas.
Qui se contente d'être posé là, comme une verrue sur la tronche d'une jolie fille.
Qui, j'en suis convaincue, me regarde dans les yeux.

- Ecoute, Bernardo, fils de chien, tu as exactement trois secondes pour aller trimballer ta carcasse hideuse ailleurs, t'entends? Sinon je te jure que je te ratatine comme une merde.

Bernardo m'écoute, j'en suis sûre. Il m'écoute, et il se bidonne. Ce putain de cousin se fout de moi.
Parce qu'il sait pertinemment, Bernardo, que jamais je n'aurai le courage de m'approcher de sa petite gueule d'araignée volante.
J'ai horreur des araignées.
J'ai horreur des cousins.
J'ai horreur de tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à un truc qui vole, qui rampe ou qui trotte, et qui appartient à la famille des arthropodes. Surtout les insectus.
Bernardo le sait bien. C'est pour ça qu'il se marre.

- Alors, l'emmerdeuse, ça va comme tu veux? Mmmm? Il se passe comment, ton match de boxe avec Apollo le Cousino? Arf arf arf!

T'en foutrais moi, tu vas voir, match de boxe, ouais, c'est ça, je sais pas ce qui me retient de l''exploser contre le mur, Apollo le Cousino, Bernardo le Salopiot, je sais pas ce qui me retient...

Mais si, je le sais.

La trouille.

Du coup, je ne suis pas allée aux toilettes. J'ai passé la soirée à me tortiller dans le canapé, avec une envie pressante, pressante, PRESSANTE NOM DE DIEU, mais j'ai tenu le coup.
Et quand ma femme a fini par aller au petit coin, elle m'a lancé, goguenarde:

- Allez, killeuse, tu peux venir le faire, ton pissou, Bernardo est reparti à Tijuana s'envoyer de la Tequila.

Je t'ai dit que cet été, on va passer nos vacances à Cuba (pas à Tijuana)?
Je t'ai dit qu'à Cuba, y'a davantage de blattoptéroïdes que de pigeons dans les rues?
Oui, des blattoptéroïdes.
De l'ordre des dictyoptères.
Du sous-ordre des blattodea.

Ouais.

Des blattes, quoi.

Des blattes de cinq centimètres de long. Des blattes qui volent. En formations serrées. Des blattes qui, quand elles se déplacent sur du carrelage, font autant de bruit qu'une petite souris, tellement elles sont grosses.

Tu sais quoi?

Si tu as une gentille petite maison avec piscine dans l'arrière-pays provençal, je te refile trois billets pour La Havane en échange de tes clés.

 
Crédit photo:  Bob/SXC

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