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En Inde, des mangues pour sauver les femmes

Publié le 20 juin 2013 par Dopalruka @DoPalRuka
Un village du Bihar a mis un terme au foeticide des filles et aux meurtres liés à la dot grâce à la culture de la mangue. Le documentaire « Mango girls », réalisé par Kunal Sharma, rend hommage à cette communauté qui protège ses filles et leur construit un avenir.

En Inde, des mangues pour sauver les femmes

A la naissance de chaque petite fille, on met en terre 10 plants de mangues. Photo : Saadia Azim\WFS


La saison des mangues arrive en Inde dès le mois d’avril, avant que la mousson ne vienne doucher le sol indien brûlant. Elles sont synonyme de fraîcheur, et annoncent le soulagement qu’apporteront bientôt les trombes d’eau déferlant sur le pays. Dans le village de Dharhara, dans l’Etat du Bihar, elles sont d’abord synonyme de vie.
La vie pour une petite fille à naître.
Trop souvent en Inde, on lui refuse ce droit de venir au monde et d'exister. Bien avant sa naissance, elle porte déjà le nom de bojh, « le fardeau ». Un jour viendra l’étape inexorable de son mariage et l’obligation pour ses parents de s’acquitter de sa dot – énormes sommes d’argent, bijoux en or, voitures… Une tradition qui promet souvent d’angoissantes années de dettes, voire la ruine de la famille après que la fille a quitté définitivement sa famille pour rejoindre celle de son mari. Le garçon offre à ses parents la perspective bien plus rassurante de devenir les bénéficiaires de cette dot. Il représente un bon investissement sur l’avenir puisqu’il assurera leur sécurité financière – notamment par les « revenus » de son mariage - et fera perdurer le nom de la lignée.
Parfois, mieux vaut que la petite fille, annonciatrice de nombreux tourments, « disparaisse ». Tant qu’il est encore temps ou même après la naissance. L’examen médical déterminant le sexe de l’enfant est interdit en Inde. Mais il est encore largement pratiqué illégalement, pour permettre de recourir à un avortement si l’enfant à naître s'avère être une fille. En 1961, on comptait en Inde 976 filles de moins de sept ans pour 1000 garçons. Aujourd’hui, ce ratio a chuté à 914 pour 1000. Dans l’Etat du Bihar, le fossé est moins profond, mais il s’est creusé depuis 30 ans, passant de 981 filles pour 1000 garçons à l’époque à seulement 933 pour 1000 aujourd’hui.

Et si ces petites filles voient le jour, leur sécurité et leur bonne santé n’en sont pas pour autant garanties. Selon les statistiques des Nations Unies, entre 2000 et 2010, lorsqu’on recensait 56 décès chez les garçons de un à cinq ans, on en déplorait 100 chez les filles de la même tranche d’âge.
Arrivée à l’âge adulte, ou du moins à celui d’être mariée, le danger de mort peut rattraper la petite fille devenue femme. Lorsque des conflits surgissent autour de la dot, la jeune épouse est souvent la première victime. Si la belle-famille ne reçoit pas la somme et les présents convenus dans les temps, ou décide de faire monter les enchères après le mariage, elle peut s'en prendre physiquement et psychologiquement à la jeune épouse. Des violences qui peuvent aller jusqu’au meurtre dans des cas extrêmes. Selon le Times of India, environ toutes les heures en Inde, une femme est tuée à cause d'une querelle liée à sa dot. Le quotidien s'appuie sur les chiffres de l’ONU, qui montrent une explosion de ces  « meurtres pour dot » : 8391 recensés en 2010, contre 6995 en l’an 2000. Sans compter tous ceux qui resteront dissimulés et maquillés.
Mais le village de Dharhara a choisi un autre chemin. Depuis 200 ans, la mise au monde d'une petite fille n'est plus reçue comme un fardeau mais savourée comme une bonne nouvelle. A chaque naissance, 10 jeunes manguiers sont plantés pour s'affranchir des craintes liées à l'avenir. Ils permettront de supporter le poids financier écrasant de son mariage futur et de sa dot. Après seulement cinq, six ou sept ans - une courte période à l’échelle d’une vie -, les arbres donneront leurs fruits et leur vente permettra de récolter de l’argent, précieusement conservé sur le propre compte en banque de l’enfant jusqu’au jour de la noce. 

Mariages et mangues sont si intimement liés dans le village que, le jour de leur mariage, les jeunes fiancées vont d’abord « épouser » un arbre, en l’embrassant et en enroulant un fil rouge sacré autour de son tronc. Ce n’est qu’une fois ce rite achevé que la cérémonie traditionnelle pourra commencer et qu’elle ira s’unir avec l'homme que sa famille lui a choisi. Depuis le premier jour, l’arbre a été son gardien, lui garantissant la vie d'abord, puis un avenir. Il le restera toujours. Après le mariage, les mangues deviennent la propriété de sa nouvelle famille, participant ainsi à sa prospérité. Et à la naissance de sa propre fille, la jeune femme reviendra probablement à Dharhara pour perpétuer la tradition et planter à son tour dix nouveaux plants.
En attendant ce jour, les mangues redonnent aux petites filles la place qui devrait naturellement être la leur dans la société indienne et leur offrent une vie meilleure, ainsi qu’une éducation. « Traitez les petites filles comme des bénédictions, et les arbres comme un dépôt à la banque - voilà  le message que nous envoie ce petit village », s’enthousiasme The Better India. Ce site recense toutes les initiatives positives lancées dans tout le pays, toutes les « belles histoires » indiennes. Comme celle des filles à la mangue du Bihar. Avec leur(s) économie(s), leur relation privilégiée aux arbres et un sens rare de la propriété. Un capital, une tradition et un état d’esprit qui se transmettent de mères en filles.

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