Ça remonte à février. La dernière fois que j'ai eu envie d'écrire ici. Avant aujourd'hui, je veux dire. Je ne me souviens pas exactement ce qui s'est passé en février, sans doute une actualité déchirante vue à la télévision, à moins que ce ne soit une subvention refusée pour le Centre d'art que je dirige, ou la réforme sur l'assurance-emploi qui rendait précaire ma situation financière, ou le stress qui se répercutait sur mon couple, ou un peu de tout ça, sans doute. Me rappelle juste ce besoin vital de jouer avec mes p'tits loups et depuis, cette légère phobie de les voir disparaître un jour. Je sais pas pourquoi, ça revient souvent dans ma tête. Maintenant qu'ils sont là, bien installés dans ma vie, avec leur rire musical et leur petit cou qui sent bon, comment j'arriverais à vivre sans eux?
Et puis, la pensée de cette éventualité, je l'ai chassée à grands coups de cache-cache familiale, de «pet» de ventre suivi d'éclats de rire, de petits bras enroulés autour de mon cou tôt le matin. Et chaque fois que j'avais fait taire cette peur, la télévision la ranimait. Il y a eu une tornade qui a ravagé une école, un python meurtrier, un train noir, des noyades, des accidents. Chaque fois, mon cœur qui arrêtait de battre trois secondes, mes yeux qui s'embuaient, puis l'émotion chassée par une crotte de nez déposée sur mon avant-bras, gracieuseté de Bébé fille.
Ça fait que la télévision, je ne l'écoute plus. Et, mis à part pour le travail, ma consommation du web et des réseaux sociaux est en chute libre. À la place, je fais des châteaux de sable, de la trampoline, je fais semblant d'être une mouette parce que ça fait bien rire mes p'tits loups, je fais des pirouettes parce que mes p'tits loups s'étouffent de rire (et l'amoureux qui se marre crissement de me voir les jambes en l'air), je danse comme une folle parce que mes p'tits loups ont mal au ventre à force d'en rire, bref, je me concentre ben gros à les faire rire, mes p'tits loups, parce qu'y'a rien de plus beau que ça, leur rire. Sauf peut-être leurs yeux brillants quand on part à la chasse aux champignons.
La conciliation travail-famille, honnêtement, j'ai arrêté d'y croire. Ça se concilie juste pas. Ou plutôt, ça se concilie à peu près 3 semaines par année, celles où c'est plus tranquille au travail et que les p'tits loups dorment des nuits entières. Le reste, c'est la course folle du matin au soir, pour arriver à l'heure au rendez-vous important-à-ne-pas-manquer-parce-que-tu-approches-un-potentiel-donateur-qui-a-à-peu-près-3-secondes-et-quart-à-consacrer-à-ton-projet, pour ne pas finir trop tard au travail parce que l'éducatrice ferme la garderie plus tôt (quitte à sauter le dîner pour y arriver), pour ne pas se coucher trop tard parce qu'il y a la garderie demain. Bref, les trop tôt et les trop tard, j'ai comme une écoeurite aiguë. J'ai pas envie de me rendre au bout du rouleau. J'ai surtout pas envie de brûler l'enfance de mes p'tits loups ou de passer à côté.
Dans ce feu roulant qu'est ma vie, j'ai mes priorités. Le virtuel n'en fait pas partie. Alors, je me déconnecte. D'ici, je veux dire. Pas pour toujours, mais pour un bout, en tout cas. Le temps de retrouver l'équilibre, peut-être. Ou jusqu'au prochain congé de maternité, qui sait.
Pour l'instant, il n'y a que le réel qui m'intéresse, celui qui me dit «je t'aime très fort maman» «t'ène maman» et auquel je réponds «moi aussi, mes p'tits loups».