éditions Gallimard, Collection blanche, 2009.
Lecture de Sylvie Besson
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<=""> « Si tu me demandes où / Est la vie promise, / Dans les méandres / Des saisons, un peu / D’ombre sera la réponse »
Faire l’expérience du noir, saisir le moment où la nuit pénètre le jour, percevoir une ombre comme s’il s’agissait d’une lueur, tel est l’univers de Rognet dont la voix tente d’émerger d’une Nuit profonde, dont la parole chante autant l’obscur qu’elle est chant de l’obscur ; et lorsque la Lumière laisse ses ombres envahir la page, on le suit dans l’Ombre et on ne sait plus où l’on est, peu importe, que ce soit sur terre ou ailleurs, l’intérêt sera alors de se frayer un chemin dans cette obscurité car cette nuit est aussi celle du travail de création en train de se faire, quelque chose cherche à apparaître dans le doute et la fragilité, dont rien ne garantit l’épanouissement, l’œuvre posant à la fois la question fondamentale de la création, et en double fond celle du non-retour, d’un présent obscurci par la composition du monde, personne ne pouvant précipiter son avènement ou son retour : « tu sais que venu / de la nuit, tu / reviendras en elle ». D’un côté le combat avec sa propre voix, ses dérobades, la tentation du découragement, de l’autre celui avec un réel insaisissable, marqué par l’imprécation, le cri, un tragique toujours latent. Ainsi se croisent des univers si proches, le cheminement du poète et l’errance de l’homme, un tutoiement peuplé d’ombres, dialogue entre le dedans et le dehors, entre l’intime et le cosmique :
Tu prends des notes
le matin, pour mieux
regarder, mieux entendre,
tu griffonnes, tu
gribouilles, comme
si tu raturais les
bavures de ton lever, […]
mais ce matin, tu le sens
dans ton corps, c’est pour
bien t’appuyer sur la vie.
ce noir absolu qui
t’emporte, plus loin
que les lointains, où
tout se prépare en ce
qui disparait
La nuit — la nuit
glaciale, paisible,
et tellement d’étoiles,
là-bas, au fin fond
du temps, au fond de
mes yeux où s’écrasent
tant de lueurs ignorées —
c’est le noir entre
elles qui m’attire […]
le noir, comme les
trous de ma mémoire plus
ancienne et libre que moi.
...et la rouille de l’automne
entêté ! ça claque au
vent
ça se brouille !
ça grelotte ! ça proteste !
Où sont donc nos
anciennes cachettes,
si chaleureuses, si
discrètes ?
nous entrerons dans
la nuit sans rien dire,
sans murmurer, nous
laisserons nos souvenirs
se pencher sur nous.
On dirait que le silence
qui vient de naitre
incise les ombres
pour retrouver la vie. Dépouillement, mais non décharnement, la poésie de Richard Rognet possède une vigueur liée à sa force musicale, le poète cultive la répétition, la forme se fait obsessionnelle dans son intensité, sa hauteur d’exigence se réalise dans l’obsession de la matière, d’une matière noire de la parole qui finit, à force de fulgurances et de persévérance, par trouver sa voie. Au parcours obscur et magnifique de ce poète rien n’indique le chemin, un peu d’ombre seulement, à moins que ce ne soit la présence de « ce rien » qui finisse par flamber au-dessus du silence : « Il faut arracher / à nos paroles / le nom lumineux / d’un monde prochain ».
Sylvie Besson
D.R. Texte Sylvie Besson
pour Terres de femmes
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NB : Dernière œuvre, Élégies pour le temps de vivre, Gallimard, 2012.
![Richard Rognet, Un peu d'ombre sera la réponse, éd. Gallimard, 2009. Richard Rognet, Un peu d'ombre sera la réponse, éd. Gallimard, 2009.](http://media.paperblog.fr/i/683/6839084/richard-rognet-peu-dombre-sera-reponsepar-syl-L-bIixX7.jpeg)
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