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11 novembre

Publié le 11 novembre 2013 par Rolandbosquet
11_novembre

   Il n’était évidemment pas question d’esquiver la cérémonie devant le monument aux morts. On ne pouvait non plus l’oublier. Dans la semaine qui précédait, l’école tout entière avait, chaque matin, entonné la Marseillaise pour entrer en classe. Les grands du certificat la répétaient déjà depuis le début de l’année. Ils devaient en connaitre au moins deux couplets pour le grand examen de juin. Il en allait de l’honneur de l’instituteur et du village tout entier. On ne badinait pas alors avec les valeurs de la patrie, qu’elle soit française ou plus modestement communale. Le monument aux morts se dressait dans l’ombre de l’église. Ce n’était qu’une simple colonne de granit sur un socle de ciment. Sur ses flancs, une longue liste de noms gravés de lettres dorées sur une plaque de marbre rappelait aux vivants ceux qui étaient "tombés au front" et "morts pour la France". En fin de matinée, les maisons se vidaient peu à peu de leurs habitants qui remontaient lentement vers la "Place". Étaient bien entendu exonérés les femmes en couche et les grands malades. Les vieillards, ceux qui avaient justement connu la "grande boucherie", n’auraient pour rien au monde déserté. Une voiture allait les chercher jusqu’à leur domicile et on les asseyait sur un banc. De part et d’autre du monument se groupaient les enfants des écoles. D’un côté, les filles avec leur maîtresse, de l’autre, les garçons, surveillés de près par l’instituteur. Derrière eux se tenaient les joueurs du club de basket menés par leur entraîneur. Au premier rang et endimanchés comme pour un mariage, les anciens combattants entouraient le porteur du drapeau qu’il fallait parfois soutenir à cause de son grand âge. Le conseil municipal en son entier et présidé par son maire s’installait cahin-caha en deuxième ligne. Venait alors la petite foule des anonymes qui profitaient de l’occasion pour échanger les dernières nouvelles. Ma tante Cécile, qui fête ce mois-ci ses cent sept ans, était bien sûr la plus entourée. Mon cousin Jean, sous-officier de réserve, venait d’être "rappelé" pour "assurer l’ordre" en Algérie. Les premières tentatives du clairon pour fixer sa note marquait les prémices de la cérémonie. A 11 heures précises, le curé sortait de son presbytère revêtu de sa soutane la moins lustrée et rejoignait le peloton de ses ouailles. Le maire se raclait la gorge. L’instituteur lui tendait la feuille de cahier où il avait rédigé son discours. Le silence s’abattait sur l’assistance. Après avoir rappelé les mérites et le courage de ceux qui avaient combattu pour sauver la France, le maire en proclamait, un à un, leurs noms et prénoms en essayant de n’en écorcher aucun. Il s’inclinait ensuite pour déposer à leurs pieds la gerbe traditionnelle, reculait de quelques pas compassés et décrétait la minute de silence et de recueillement. C’était alors qu’intervenait le clairon amateur de service pour  une "sonnerie aux morts" plus ou moins ébréchée selon qu’il s’était arrêté ou non au Café Central. C’était d’ailleurs là que le maire conviait les hommes à l’issue de la cérémonie pour un apéritif offert par le Conseil. De leur côté, les femmes rentraient à la maison pour préparer le repas. Et pour être tranquilles, elles laissaient les enfants s’ébattre un peu plus longtemps sur la Place : « Tu rentreras avec ton père ! ». Mais elles entraînaient bien sûr les plus petits avec elles dans un concert de sanglots et de lamentations. Quand tu s’ras grand, disaient-elles. Sous-entendu : tu as bien le temps de grandir et de partir à la guerre !


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