Il faisait très sombre dans la fourgonnette de la police sans fenêtres. Lorsque Ndaya y fut jetée, elle tomba sur d’autres corps, assis pêle-mêle sur le plancher du véhicule. Un des policiers alluma sa lampe-torche à la recherche de la nouvelle venue qu’elle reconnut très vite. « Eh toi, montre tes papiers ! » Ndaya lui répondit qu’elle n’en avait pas. Il s’approcha d’elle et lui assena une forte gifle dans la joue. Elle vacilla, perdit l’équilibre et tomba sur les jeunes garçons assis derrière elle. La lampe-torche s’éteignit de nouveau.
Des longues minutes s’écoulèrent et la fourgonnette roulait toujours. Bientôt, elle s’arrêta et les policiers commencèrent à sortir, un à un, les jeunes qu’ils avaient arrêtés et les emmenèrent au cachot du commissariat ; seule Ndaya resta derrière la fourgonnette. Les policiers revinrent quelques instants plus tard, refermèrent les battants et le véhicule repartit. Les quatre murmuraient et parlaient en code pour que Ndaya ne comprît ce qu’ils disaient.
Comme ils l’avaient laissée tranquille, prise de fatigue, elle s’endormit aussitôt, adossée à la paroi de la fourgonnette. Un coup de pied à la jambe gauche la réveilla brutalement. Aussitôt deux mains très fortes la souleva du plancher et l’entraîna au dehors.
Un vent frais la frappa comme une gifle. Tout était noir autour d’elle mais elle entendait les clapotis de l’eau s’écrasant aux rochers, ce qui mit tous ses sens en éveil. Lorsque ses yeux s’habituèrent à l’obscurité, elle constata avec surprise que, effectivement, elle se trouvait au bord du fleuve Nzadi. Les reflets de la lumière des réverbères au loin sur la surface d’eau amenaient un peu d’éclairage. Le vent soufflant sur le fleuve roulait les nuages grisâtres au-dessus des cimes des arbres. Ndaya se retourna cherchant ceux qui l’avaient emmenée là de son regard perdu. Ils étaient là, cinq silhouettes qui l’observaient avant les dernières explications.
Les ayant aperçus, elle comprit que son heure était arrivée. Lorsqu’elle était chez ses parents, au pays des Bashilang, elle entendait toujours son père commenter les informations qu’il entendait à sa radio qu’il écoutait chaque soir. Elles faisaient état, presque chaque semaine, des cadavres qu’on retrouvait soit aux bords des routes, soit aux bords du fleuve, soit jetés dans des caniveaux. Certains décapités, éventrés ou les sexes arrachés. Alors, il disait sans cesse : « Sashanti est un enfer. Il ne pouvait en aucune façon accepter de vivre dans un endroit comme celui-là, où on tue gratuitement ». Mais jamais, elle ne pouvait s’imaginer qu’un jour, elle allait se retrouver dans la même situation. Les mains levée au ciel, elle se mit à monologuer dans sa langue:
« Hei, Mundi wa Ngandu, nkadi mfua, nshiya muan’anyi kayi mukole.
Mundi wa Ngandu, nkadi ndua kufua mu tshisuku bua perruque.
Perruque umvua tshiyi mulombe,
Mundi wa Ngandu, kua kumona tshitalu tshianyi.
Ntumba wa Kabongo, mamu wanyi musuibe
Nkadi mfua ne buana buanyi bonso!
Kuakummona kabidi!
Mvidi Mukulu wa Tshiame, Maweja nangila, angata moyo wanyi »
L’un des policiers vint lui asséner une gifle très violente sur la joue. « Tais-toi, pute ! Remonte ta sale robe et descends vite ta culotte pour ton dernier plaisir ! » Ndaya ne pleura pas. Elle tomba sur ses genoux, les bras tendus vers son assaillant, implorant sa pitié. A ce moment, un des policiers sauta du lieu où il se trouvait et vint s’interposer entre son collègue et Ndaya. « Assez », cria-t-il « Vous ne comprenez pas ce qu’elle est en train de dire. Cette fille est de chez moi, de Bashilang. » Alors, il se mit à leur traduire ce qu’il venait d’entendre du monologue de la jeune fille. « Elle dit qu’elle va mourir pour une perruque. Elle parle aussi de ses parents et de son enfant qu’elle ne verra plus grandir. Alors, Arrêtez ! Cette gamine est, peut-être, une parente à moi ». Les autres protestèrent et ne voulurent pas le comprendre. « Tu vois ? Maintenant qu’il s’agit d’une fille de chez toi, tu veux intervenir pour que nous la laissions tranquille. Pourquoi ne l’as-tu pas fait avec les autres ? »
Pour toute réponse, le policier Mushilang (oui, appelons-le ainsi) prit Ndaya par le bras et, la faisant passer devant lui, s’adressa aux autres: « Avant de faire tout ce que vous voulez avec cette gamine, vous devez d’abord me tuer ». Lorsqu’il arriva avec elle à la fourgonnette, elle la fit monter dans la cabine, contourna la fourgonnette par devant et s’installa au volant. Quelques instants plus tard, il entendit les autres policiers s’engouffrer dans la fourgonnette et donner le départ.
Il faisait environs trois heures du matin lorsqu’ils quittèrent le bord du fleuve. Ils roulèrent ainsi pendant une quinzaine de minutes dans un silence complet. Ce fut le policier chauffeur qui brisa, le premier, le silence : « qu’est-ce que c’est que cette histoire de perruque ? » demanda-t-il à la jeune fille, d’un ton curieux. Ndaya commença à lui raconter de la préparation de la fête, de la fête, elle-même, des échanges des perruques avec l’inconnue et l’oubli de la récupérer, etc…jusqu’au moment où sa tante l’avait renvoyée pour la chercher.
Lorsqu’elle termina son récit, elle fondit en larmes, la tête entre les mains, ne comprenant rien à ce qui lui arrivait. Le chauffeur, très touché, ne manifesta aucune émotion apparente. Sous la lumière des routes, Ndaya pouvait, par moment, l’observer furtivement. C’était un homme dans la trentaine. Une casquette de policier enfoncée sur la tête laissait apparaître des cheveux de style Afro. Il était d’une stature de boxeur avec ses biceps saillants et des bras musclés qui tournaient le volant avec aisance. Ndaya se dit intérieurement que, sans sa tenue grise de policier, il devait être très beau. Son sauveur.
Lorsque la fourgonnette arriva à l’endroit où les policiers l’avaient embarquée quelques heures plus tôt, le policier chauffeur lui demanda où elle habitait. Ndaya lui indiqua l’avenue. « Tu peux maintenant partir. J’attends jusqu’à ce que tu entres dans la parcelle. Plus jamais, tu n’oseras te traînailler sur la route à des heures tardives de la nuit. Allez, va !» Ndaya lui dit merci avec deux mains jointes sur la poitrine comme pour une prière et sortit de la fourgonnette. Elle courut du mieux qu’elle put jusque dans la parcelle de sa tante. Arrivée devant la porte, elle tambourina, avec force, sur la porte en criant: "Ouvrez-moi vite, s'il vous plaît!" Quelques secondes plus tard, la tante ouvrant la porte d'un mouvement sec, se planta, le bras croisés, devant Ndaya: « Tu as ramené ma perruque ? » lui demanda-t-elle. Ndaya voulut lui expliquer du danger auquel elle vient d’échapper. Mais sa tante resta de marbre. « Je t’ai dit que tu n’entreras pas dans ma maison sans ma perruque ! ». Elle claqua la porte au nez de la jeune fille qui fondit de nouveau en larmes. Ndaya passa le reste de la nuit derrière la maison, dans la toilette. (A suivre)
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