Magazine Journal intime

Banlieue 13

Publié le 09 mai 2008 par Corcky


Depuis que j'habite dans le 93, j'ai appris plein de choses sur la banlieue.

Et d'abord, que les stéréotypes télévisuels et cinématograhiques, c'est un peu de la merde.

C'est vrai que si tu te branches sur TF1 à une heure de grande écoute, tu as des chances de voir des tours de béton sinistres, des mémés terrorisées, et surtout des jeunes encapuchonnés qui dealent et qui molestent les braves citoyens de la France d'en bas, obligés de partager ces HLM pourris avec de la "racaille" forcément d'origine immigrée (sinon c'est pas drôle et puis ça fait moins d'audimat).

Bon, ben là où j'habite, y'a déjà pas de tours.
Par contre, y'a des maisons avec des potagers, et plein de petits vieux qui se cassent le dos à ramasser leurs tomates. Et aussi plein de gosses de toutes les couleurs qui font du vélo et du skate, même que les vieux qui jardinent, ça les fait râler. Et on a une floppée d'associations, aussi, les boxeurs Thaï et les femmes africaines, les peintres contemporains et les sans-papiers, les amateurs de pêche à la ligne et les fans de rap. On avait même un local siglé "UMP", mais va savoir pourquoi, depuis les municipales, il est tout le temps fermé.

Enfin quand même, à quelques kilomètres, des tours, on en a.
D'ailleurs la seule fois où j'ai une eu galère là-bas, c'est quand j'étais infirmière à domicile. Ma collègue et moi, on est tombées en rade de bagnole comme deux pouffes, avec les trousses de soins et tout le barda, et tous les petits vieux s'étaient mis à leur fenêtre pour se foutre de nous, les cons, pendant que la Clio crachait tout ce qu'elle pouvait et toussait comme un Grégory Lemarchal sur le point de passer l'arme à gauche.


On n'en menait pas large, parce que nous aussi, on a vu La Haine et qu'on imaginait la faune du coin embusquée derrière une cage d'escalier, prête à bondir et à nous dépouiller de tout ce qu'on avait, à commencer par cette voiture pourrie qui refusait de démarrer.

C'est là qu'on a vu s'approcher un groupe de "jeunes", avec les pantalons baggy et les sweats à capuches, un vrai bonheur de cliché à la Pernault, une dizaine au moins, démarche nonchalante et chaloupée, mains dans les poches et téléphones portables braillant un hip-hop du niveau zéro de la musicalité.

- Démarre, Thérèse, bordel, démarre! - Je fais ce que j'peux, t'as remarqué? Si t'avais ton permis, tu pourrais l'ouvrir, ta gueule. - Si tu savais conduire, on aurait pas calé! - Si on avait des bagnoles normales au lieu de poubelles sur roues, ça irait p'têt bien mieux! - Si ma tante en avait, on l'appelerait mon oncle! Démarre, putain de bordel de merde!

Mais ça démarrait pas, ça faisait juste "uiiiiiii", un peu comme comme ton grand-oncle qui fait de l'emphysème et que ta mère elle dit qu'il n'en a plus pour très longtemps (ta mère, elle dit pas ça par méchanceté, c'est juste parce que ton grand-oncle il a une vache de baraque à Nice et aussi un compte à dix chiffres au Lichtenstein).

L'un des mecs s'est approché de la vitre passager, il m'a fait signe de la baisser, et j'ai obéi, parce que je le voyais déjà en train de la défoncer avec une batte de base-ball.

- Vouiiiiii? - Z'avez un problème, madame?

Madame. Tu sais que ça me fait toujours un petit coup au coeur, quand on m'appelle "madame"? C'est là que je vois que j'ai définitivement dépassé cette période de ma vie où on me prenait pour une élève infirmière, cette période pendant laquelle j'ai pu gruger sur la Carte Étudiant, cette époque où je trouvais les trentenaires péteux et cons comme des manches.

- Ben c'est-à-dire que non, on n'a pas de problème, c'est la voiture qui en a un. - Ah ouais, ça démarre pas, hein? - Voilà, oui.

Il a fait le tour, s'est approché de Thérèse, qui lui a sorti son plus beau sourire (Thérèse, quand elle sourit sous la contrainte, on dirait Jaws dans Moonraker, c'est pas très joli, et puis surtout ça fait peur aux enfants.

- Eh madame, c'est vot' batterie qu'est à plat, j'crois. - Ben oui, je crois aussi, oui.

Le petit mec a appelé ses potes, qui se sont groupés autour de la Clio pourrie (dans ma tête de citadine, ça me renvoyait l'image des lions qui encerclent la gazelle, parce que j'ai vu plein de documentaires animaliers sur la Cinquième, et je sais que quand ils te montrent ce moment-là, ben ça pue sévère pour la gazelle).

J'ai regardé Thérèse et j'ai essayé de lui expliquer le coup des gazelles et des lions, mais tu parles, elle était trop concentrée sur la clé, elle n'arrêtait pas de tourner cette foutue clé, et ça repartait pour un "uiiiiiiii" pathétique.

- Arrêtez, m'dame, vous allez la noyer, vot' voiture.

Le gars s'est tourné vers les autres, ils ont papoté deux minutes, et puis y'en a au moins quatre qui se sont collés au cul de la voiture, deux autres sur les côtés et deux qui sont partis en éclaireurs sur la Dalle. Le p'tit chef a dit à Thérèse:

- Nous, on pousse.

Thérèse, elle a la paupière qui a fait "tic-tic", deux fois, et elle a dit:

- Ah bon...

Et ils ont poussé. Ils ont poussé vachement fort, pendant que les autres jouaient à la police de la route devant nous et demandaient aux gens de dégager le passage. Moi j'y connais rien, aux voitures, mais Thérèse elle a eu l'air de savoir quoi faire, parce qu'assez rapidement, on a démarré pour de bon.

Les mômes ont poussé des cris de Sioux, ils étaient tellement jouasses qu'on se serait cru dans une scène de film des années 80, pendant une surboum où Kevin fait du plat à Cindy sur une musique merdique et que les potes de Kevin l'encouragent en rigolant.

- Madame, ça roule, hein, ça roule! Z'arrêtez pas, madame, z'arrêtez pas, ça roule!

Pour rouler, ben ça roulait, ouais. On est rentrées au boulot avec une demi-heure de retard et on s'est fait passer un savon par la connasse de service, mais on avait ramené la Clio.

Cette cité, j'y suis retournée pas mal de fois, ensuite, parce qu'on avait au moins 70% de nos patients qui y créchaient (la faute au RMI, au chômage, à Giscard, qu'est-ce que j'en sais, mais ils s'en seraient bien passé, tous autant qu'ils étaient). Les gamins, on les a revus souvent. Une fois, ils nous ont aidées à descendre une mémé qui faisait un malaise et qu'on voulait emmener à l'hosto. C'était pas vraiment comme dans Urgences, parce que ça faisait un peu bordélique et que la cage d'escalier était vraiment étroite, mais quand même.

Alors bon, tu vois, depuis, ben je suis encore plus certaine que la téloche, c'est de la merde.

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