J’ai mis vraiment épais de mélasse sur mes crêpes. Mélangée avec du beurre de peanut. En fouillant dans le frigidaire, j’ai cru pendant un instant que je n’avais plus de mélasse. J’ai failli faire une crise d’apoplexie. Mon père fait du maudit bon sirop, mais avoir envie d’une crêpe «beurre de peanut-mélasse», c’est comme avoir envie d’un cornichon : tu remplaces pas ça par un concombre. Le feu m’a donné de la misère ce matin, le bois d’allumage était trempé. Deux ou trois séances acharnées de soufflet, il crépite maintenant… Ou il bouille. Ma deuxième crêpe me regarde avec un air aguicheur, je fais semblant de ne pas la voir, la première m’a donné mal au cœur.
En rentrant chez moi mercredi soir, j’ai failli embrasser les murs. J’en avais vraiment envie. Je me suis retenue parce que mon chum était avec moi et j’avais peur de paraître «to much», mais j’en avais vraiment envie.
Mon mois de novembre a commencé sur les chapeaux de roues avec quatre jours intensifs au salon du livre de Rimouski, suivis de trois nuits à Toronto pour la conférence de presse des GG’s, suivies de cinq nuits à Montréal pour le salon du livre et autres mondanités, suivies de trois nuits à Ottawa pour la remise officielle à Rideau Hall, suivies d’un hit and run à Montréal pour l’enregistrement de l’émission «Tout le monde tout lu», le tout intercalé d’un jour ou deux ici dont je profitais pour rencontrer les médias locaux et mes responsabilités de contractuelle.
J’en ai tu dis des affaires. Sur toutes les tribunes, à toutes les sauces, en réfléchissant beaucoup ou pas pantoute. J’ai vu toutes sortes de citations dans les journaux, il me semblait souvent qu’on retenait ce qui comptait le moins dans mes propos. Ça m’apprendra à parler autant sans trop trier ce qui sort de ma bouche. Parce que tout est vrai, mais c’est encore plus vrai quand on resitue mes affirmations dans leur contexte. En gros, c’est pour ça que j’ai envie de réagir aujourd’hui, alors que la poussière est définitivement retombée. Pour remettre en place les phrases qui venaient avant et après ou pour en inventer d’autres.
«Stéphanie Pelletier dites-moi, qu’est-ce que ça vous fait d’avoir gagné le prix du gouverneur général?»
En vrac :
1- J’ai juste envie d’écrire encore plus! J’ai passé un mois à parler de mon livre, de littérature, du prochain livre en devenir, de tout ce que j’ai envie de dire, d’exprimer, de créer, sans avoir le temps d’écrire une ligne! Je ne peux pas savoir si le prochain va être aussi bon que le premier, je savais même pas que le premier était si bon que ça, j’écrivais parce que c’est essentiel, parce qu’il le fallait, parce que j’explose si je ne le fais pas. Parce que le monde est beau, parce que la vie dans tout ce qu’elle contient d’absurde, de vain et d’horrible est belle malgré tout. Parce que ça prend du monde pour voir et pour dire ça.
2- La pression, s’il y en a une, elle vient des autres pas de moi, moi je vais me remettre à écrire de la même manière, assise à la même place, avec les mêmes images et pour les mêmes raisons. Si le prochain livre n’est pas bon, ben coudonc il aura fait partie d’un processus essentiel à la continuité de mon œuvre. Le public voit des livres distincts les uns des autres, moi je vois un immense jardin que je cultive, qui est composé de la même terre et qui fournit des rendements différents selon les précipitations et les heures d’ensoleillement qu’il y a eu cette année en comparaison de l’année dernière. Il est parfois envahi de mauvaises herbes, parfois des verres mangent ses choux, d’autres fois il donne des quantités spectaculaires de petits pois pendant qu’aucune carotte ne voit le jour, mais il y a toujours de la salade.
3- Non la nouvelle n’est pas un genre mineur. C’est un genre. Si je suis en train d’écrire un roman ça n’est pas parce que je suis mûre pour ma vraie œuvre, c’est par désir. Désir de m’installer plus longtemps dans la même histoire. Point. Si je n’avais pas déjà commencé, je crois que j’écrirais un autre recueil, par défi, pour le pur plaisir de faire un pied de nez à cette manie de hiérarchiser les genres, de comparer, de mesurer ce qui ne se quantifie pas. Le désir d’écrire ne se quantifie pas peu importe la forme qu’il prend.
4- Je suis honorée de cette précieuse reconnaissance venant de mes pairs.
5- En gagnant le GG, j’ai aussi gagné une tribune pour lancer un message aux artistes et irréductibles habitants des régions. Plusieurs personne d’ici m’ont dit qu’elles étaient fières de moi, j’ai envie de leur répondre que ce sont eux qui me rendent fière. Je ne voudrais pas que ce combat pour donner une voix aux régions prenne l’aspect chauvin «ville versus régions» qu’on lui attribue trop souvent. Si je porte avec autant de ferveur ce flambeau, c’est que j’ai l’intime conviction que le rythme de vie propre à la ruralité préserve un amour essentiel au bien de l’humanité. Je sais qu’il est capital d’entretenir le lien qui nous unit à la nature et à la terre si nous voulons préserver ne serait-ce que l’idée d’un monde meilleur. Rien ne remplit aussi bien le cœur et l’esprit que le sentiment d’amour profond et gratuit que l’on éprouve lorsqu’on vit au rythme d’un territoire, lorsqu’on prend soin d’une terre.
6- WOOOOOOOOUHOUUUUUUUUUUUUU!
7- Je vais pouvoir m’offrir le LUXE de prendre le temps de créer. En écrivant ces lignes je suis à la fois transportée de joie et profondément déprimée. Si les artistes pouvaient vivre de leur art il me semble que notre société se porterait mieux.
Hier matin j’ai été réveillée par l’ironie. Après avoir passé des semaines à m’ennuyer des nuits et des matins tranquilles et silencieux du 5ème rang, c’est la sauvagerie elle-même qui m’a tirée du lit. Toc-toc-toc. Juste en haut de la fenêtre de ma chambre. Toc-toc-toc. «Woyons esti à matin, c’est quoi l’esti de problème!» Toc-toc-toc. Tourne et retourne, fourre ma tête sous l’oreiller. Toc-toc-toc. «Tabarnak!» Descends du lit. Enfile mes bottes kodiak. Attrape mon manteau d’hiver laitte. Ouvre la porte et sors en pyjama. «Veux-tu ben sacrer ton camp dans le bois pis lâcher ma maison mon p’tit maudit!» Toc-toc-toc! «HEILLE!» Il m’a regardé avec l’air de me traiter de criss de folle et s’est envolé. Toc-toc-toc! «Esti tu me niaises!»…
En faisant le tour, j’en ai trouvé trois, des pics bois, qui grignotaient le bardeau de ma maison. Welcome home Pelletier!
Tant qu’à être réveillée, j’ai enfilé mes jeans et suis descendue chercher les filles en pensions chez mes parents. Cabotine s’est cachée en dessous du lit, elle déteste le transport en cage de plastique. Wendy, quant à elle, ne s’est pas fait prier pour sauter dans l’auto. Même si elle grogne souvent d’ennui devant le feu de foyer, elle se sent chez elle dans la grande maison avec la fille emmerdante qui passe de longues journées en linge mou à taper sur des petits morceaux de plastiques devant un carré lumineux. Les chiens sont fidèles comme c’est pas possible! En ce qui concerne Cabotine, un divan ou un autre, elle s’étend dessus. Tant qu’il y a de la bouffe deux fois par jour…
Ma maison, ma campagne, mes bêtes, ma vie me semblent encore plus belles qu’avant mon départ. J’ai le désir d’écrire dans le tapis, j’ai confiance et j’ai du temps. Je pense que c’est ça l’immense cadeau que m’ont offert les GG’s.