Cette fois, le froid a vraiment frappé. Les derniers géraniums abrités par la terrasse sont gelés. Les branches des érables sont à présent entièrement dénudées et leurs ultimes feuilles tapissent la pelouse d’une multitude de taches brunes. Les premières fleurs jaunes des jasmins d’hiver pointent ça et là et les bruyères dessinent une bordure rosacée autour de l’auge de pierre. Le soleil levant dessine de longues ombres sur la pelouse argentée. La beauté est indéniable et réjouit le jardinier mais ne l’encourage pas à endosser sa grosse veste et à chausser ses bottes. La lune lui déconseille d’ailleurs se sortir le sécateur ou la bêche. Une matinée auprès de la cheminée avec Jean d’Ormesson est un programme tout trouvé. Mozart et ses sonates pour piano interprétées par Daniel Barenboïm accompagnera très bien son dernier opus :" Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit ". Ses lecteurs étaient pourtant persuadés qu’il n’aurait plus guère de lignes à ajouter sur le monde étrange du Plessis Lez Vaudreuil, son Grand-père, son enfance, sa famille. Il y revient malgré tout. Pour la musique des mots, sans doute, des images surannées et le délicat parfum de la nostalgie mâtinée d’humour discret. Avait-il réellement trouvé sa place au cœur de ces années évanouies ? Il s’y était inséré avec la légèreté du feu follet. Passager fugace et éphémère, conscient de la précarité du temps mais goûtant goulûment chaque moment qu’il sait périssable. La coquetterie est l’un de ses charmes, bien sûr. Il sait toujours donner l’impression de survoler sa vie en éternel nomade. Il sait aujourd’hui le poids des questions qui alourdissent les poches du farfadet qu’il voudrait paraître. Il nous rappelle comment notre univers est né. Mais c’est pour repousser le moment où il posera le pied sur la dernière marche, celle du temps. Il interroge les scientifiques. Mais ils doutent. Le temps existe-t-il vraiment ? Ne serait-ce pas une création de l’homme qui l’aurait "fabriqué" pour rendre son passage sur la terre plus tolérable. « L’avenir n’est qu’un passé en sursis. Le passé est dans ma tête et le présent coincé entre les deux. C’est un entre-deux minuscule. Jusqu’à l'inexistence". Et où est Dieu ? Les scientifiques ne renseignent guère sur Dieu. Point d’expérience ni de certitude absolue. Et que l’on croie ou non à son existence ne change rien à l’affaire. On peut rameuter le Big-bang, les étoiles, la lumière, les arbres et les chats, les oiseaux et les hommes. Ils ne transportent aucune réponse dans leur charroi. Grandiose ou dérisoire, le temps conduit inexorablement vers le jour où il s’arrêtera pour chacun, pour l’homme, pour la terre, pour l’univers. Et malgré tous les auteurs, les poètes, les peintures, les musiciens ! Alors, la meilleure recette pour vivre ces jours de transit réside peut-être dans la recherche du beau, du bien, du bon. Quand le monde un peu partout chavire dans la violence autant que dans l’indifférence, reste la tolérance à pratiquer avec la légèreté de l’alouette, la désinvolture de l’incroyant, l’indulgence de celui qui connaît la charge de sa faiblesse. Ajouter une pincée d’impertinence, de douceur et de grâce. En un mot, de la bonté. Réapprendre la bonté. Et ce monde qui s’enfuit tournera peut-être un peu moins mal.