Et voilà une bonne chose de faite ! Ma mère avait l’habitude de ponctuer ainsi les innombrables chapitres de sa vie de mère de famille, de ménagère et d’épouse de petit paysan. Et voilà une bonne chose de faite ! Elle clôturait ainsi la corvée du linge. Elle ne disposait pas d’une bonne-à-tout-faire ni de machine à laver et moins encore d’un sèche-linge. Aurait-elle-même accepté de confier cette tâche éminemment cruciale à une étrangère ou à une machine ? Elle lavait à la main, dans un grand bac en ciment installé dans la buanderie sise entre l’étable et l’écurie. Lorsqu’elle avait "serré son linge" sur le grand fil pendu à deux piquets que j’ai toujours connus brinquebalants, elle déclarait dans un soupir: et voilà une bonne chose de faite ! Et elle ajoutait en hochant la tête : jusqu’à la prochaine fois ! Elle en disait autant après avoir repassé le dit linge, à son retour de la traite les vaches, après avoir "fait la vaisselle", passé la serpillère sur le carrelage ou fait un dernier nœud au chandail de laine qu’elle achevait de tricoter. Et voilà une bonne chose de faite ! Voilà donc, pour nous aussi, une bonne chose de faite avec ces fêtes de fin d’année maintenant derrière nous. Nous les avons tant attendues, le cœur secrètement barbouillé du souvenir de celles de notre enfance ! Frugales, souvent, mais dans la tiédeur familiale. Les vocalises de Tino Rossi dégoulinaient du poste TSF bloqué d’office sur Radio Luxembourg. Le chemin jusqu’à l’église était bien long pour nos petites jambes et la messe de minuit soporifique. Mais un bol de chocolat chaud et une orange nous attendaient au retour. C’était au siècle dernier. Soixante années plus tard, on n’écoute plus Tino Rossi à Radio Luxembourg, on ne va plus à la messe de minuit ou si peu et on ne se contente plus d’un bol de chocolat et d’une orange. On ripaille. Des plats plus fins et plus lourds à la fois qui se doivent de sortir de l’ordinaire. Des huitres, du foie gras, des coquilles Saint-Jacques, du saumon, du chapon farci, de la dinde aux marrons, du faisan en chartreuse, du sanglier mariné ou du chevreuil aux airelles, que sais-je, peut-être même une poêlée de champignons sauvages pour les végétariens. Sans compter les vins qui accompagnent ces mets délicats et l’indispensable champagne ou, à défaut, un crémant d’Alsace ou une clairette de Die, l’important étant dans les bulles censées apporter une ambiance de fête, comme chez les riches. En réalité, l’essentiel de l’affaire se déroule surtout au petit matin suivant. Lorsque les enfants plongent au pied du sapin et éparpillent à tout-va les papiers d’emballage si soigneusement ficelés. Leurs yeux brillent, leurs gestes maladroits font sourire leurs parents qui immortalisent la scène pour les générations futures et leurs exclamations pointues vrillent l’air saturé des vapeurs d’alcool de la veille. Puis les jours passent, tout aussi chargés en bombances, bruits, cris, courses de dernière minute dans les magasins, échanges téléphoniques, liaisons internet vacillantes et autres joyeusetés épuisantes. Donc, aujourd’hui, nous pouvons conclure l’esprit serein et le foie embarrassé : voilà une bonne chose de faite ! D’autant qu’une nouvelle année commence et qu’il convient de ne pas oublier, déjà, les bonnes résolutions énumérées sous le gui au moment des vœux traditionnels de nouvel an. Est-ce que le monde tournera mieux pour autant ? Ceci est une autre affaire !