"Tout est bon dans le missionnaire ; seule la cuisson est délicate", rappelle un fameux proverbe bantou. Depuis l’avènement du docteur Freud au pinacle des grands sorciers de l’âme, les romanciers ont souvent tendance à négliger l’adage populaire pour aller puiser leurs héros dans les cornues fumantes et bouillonnantes du thaumaturge de Vienne. Dès les premières pages, ils nous apparaissent déjà tout chiffonnés et racornis comme une vulgaire page de livre de cuisine ayant beaucoup servi. La recette produit certes parfois d’excellents plats, riches et légers à la fois, appétissants jusqu’à la dernière ligne. On a hélas l’impression que le reste du temps une interprétation trop fidèle des préceptes du mage a conduit à servir une pitance indigeste, aussi fade qu’inodore et sans saveur. Un produit de restauration rapide. Plusieurs romans livrés au cours de l’année 2013 échappent cependant à cette "mal bouffe" autant qu’à d’obscures méthodes nombrilistiques tout en se révélant de bel intérêt pour le modeste public que nous sommes généralement. Celui qui échappe le mieux aux tentacules du maître de Vienne dévoile l’"Extraordinaire Voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea". Le titre est à lui seul une formidable invitation à suivre Ajatashatru Lavash Patel, le héros, à travers ses mille aventures abracadabrantesques. C’est surtout une grinçante satire de notre époque. Nous nous y vautrons sans vergogne et il nous aide à prendre un peu de recul avec les petites et grandes misères qu’elle nous occasionne. Après l’histoire du "Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire", Jonas Jonasson continue de s’attaquer avec humour aux préjugés et au fondamentalisme sous toutes ses formes. Même s’il ne démolit pas vraiment le mythe selon lequel les rois ne tordent pas le cou des poules. Est-ce un roman ? Est-ce une confession de plus ? La dernière livraison de Jean d’Ormesson n’est certes pas un roman d’aventure. Il ne le prétend d’ailleurs pas. Même si sa longue vie, comme il dit, en relève quelque part, comme on dit dans les milieux de la littérature littéraire. Il n’en revient pas moins avec son élégance habituelle sur le passé qui passe et sur notre époque de transition, ce qui la fait ressembler à toutes les époques. Il nous parle surtout d’amour. Ce qui est encore la plus tendre manière d’appréhender les vicissitudes du monde. Les meilleurs livres ne figurent pas obligatoirement dans les listes des best-sellers, loin s’en faut. Mais le fait d’y être répertorié n’en obère pas nécessairement la qualité. "Une Rançon" de David Malouf s’y est installée quelques semaines avant d’en disparaître, poussée vers les oubliettes par les prix de novembre. (Lire ma chronique du 29 octobre) Il demeurera malgré tout "le" livre de l’année. Riche, profond et léger à la fois, surprenant avec son ouverture sur le monde antique grec tout en ouvrant sur le nôtre. L’"Immortelle randonnée" de Jean-Christophe Ruffin réussit, elle, l’exploit de participer encore aux meilleures ventes. Une aventure intérieure sans jargon. Une aventure pédestre qui permet de découvrir les réalités de ces pèlerinages à Compostelle ou ailleurs tellement à la mode de nos jours. Une belle aventure, en tout état de cause pour les modestes éditions Guérin. Près de 550 romans piaffent d’impatience à la porte de la rentrée de janvier. Quand on sait que 44% des 27000 personnes interrogées à travers l’Union Européenne n’ont pas lu un livre au cours de l’année 2013, il n’augure rien de grandiose pour ces nouvelles productions. Mais le monde, qui est considérable, continuera de tourner autour de lui-même sans s’interroger plus avant. Comme d’habitude.