Un auteur parisien bien en vue critiquait, il y a quelques jours, certains journaux égarés selon lui dans des chemins tortueux plutôt que de fréquenter les autoroutes de sa propre production. C’était son droit. Nos penseurs de si haut vol devraient malgré tout se pencher de temps à autre sur les humbles vérités que soulignent les dictons populaires. Ainsi ce fameux proverbe bantou qui dit que le berger sur la colline voit plus loin que la chèvre broutant au fond de la vallée. Que nous enseigne-t-il ? Il nous désigne d’abord un homme qui a failli à son devoir. Un berger est responsable de chacune de ses chèvres. Pourquoi ne veillait-il pas sur elle ? De sa coupable inconséquence résulte au mieux pour la pauvre bête une grande frayeur. Elle lève la tête et il est là mais il ne la voit pas. Elle appelle et il ne l’entend pas. Viennent la perte d’appétit et la neurasthénie. Un cachet, deux cachets, trois cachets. La faculté se voit contrainte de l’hospitaliser : elle a besoin de sommeil. De calme et de sommeil. Qu’en est-il du berger ? Peut-être est-il monté sur la colline pour chercher un endroit où l’herbe est plus verte que sur le médiocre pâturage où il a poussé son troupeau ! Le fait d’en rechercher un plus riche en bon regain, graminées, roses rouges et autres coquelicots montre un berger conscient de ses responsabilités. Mais peut-être ce dernier se contente-t-il simplement d’admirer le paysage. Sans autre considération pour le bien-être de son troupeau. Ou peut-être s’apprête-t-il à le quitter pour quelque aventure qu’une vieille morale du siècle dernier condamnerait immanquablement. Ce qui expliquerait pourquoi il s’est éloigné du village de crainte que quelque curieux ne l’observe et ne le trahisse. Il attend le coucher du soleil pour être assuré d’une plus grande discrétion encore. Tout de nuit revêtu, il se glisse à pas de loup de point d’ombre en point d’ombre jusqu’à la porte secrète qui s’ouvre en silence sur l’obscurité de son coupable mystère. Le troupeau ? Bah, répondra-t-il pour sa défense, il n’est point de problème qu’une absence de solution ne saurait résoudre. Il suffit d’attendre. Sans doute la pauvre chèvre se remettra-t-elle de ses tristes émotions. Mais le troupeau aura-t-il encore confiance ? Mais mon interprétation de l’histoire du berger est partisane. Elle peut tout aussi bien signifier que tout jugement est dicté par un point de vue. Selon que vous regardez le monde de la vallée ou du sommet de la colline, il vous apparaîtra étroit ou généreux. Ce qui, dans l’un ou l’autre cas, ne l’empêchera certes pas de tourner. Mais de travers. Comme d’habitude.