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Les Fusillés #2 : Le plagiaire

Publié le 16 janvier 2014 par Yannbourven


Paris, l'hiver, un jour figé, le même, toujours le même, rien n'est détruit, tout est en place, la torture mentale tourne à plein régime,
15h :
Vivement la guerre, vivement la guerre, ce n'est pas si simple de déclencher les hostilités, il errait, Allan Beffroi, dans ce Paris défait, comme s'il bouffait les trottoirs à même le désespoir, sûr que la terre s'ouvrirait un beau jour, pour recracher ses morts et ses mots, il pleuvrait un d'ces quatre, des os rongés sur nos têtes abruties... Vivement la guerre...« L'Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. – Après-midi piscine. »Allan repensait à cette phrase de Kafka (Journal, 2 août 1914), et il s'est mis à sourire. Ce sourire penché d'outre-tombe aurait pu être considéré par le passants comme un sourire cinglé parmi les sourires cinglés. Mais ce sourire a provoqué (excusez du peu) l'ouverture de ses paupières, enfin ! On m'a enlevé les fils ! Mes yeux sont libres ! Matons ce qui nous entoure, oh d'accord, il a soufflé, Allan Beffroi, il a vite déchanté... C'est si grisâtre, à t'en donner la nausée... Je préférais lorsqu'ils étaient fermés, mes yeux, je préférais regarder le film de mon inconscient... Mais il faut sortir de soi, il faut se confronter à la vie, à toutes ces conneries, Allan Beffroi tentait de se motiver, mais c'était vain, à quoi bon, manquerait plus que ça, devenir un joyeux, un épris, un souriant béat, un hippie à la con, un optimiste, quoi. N'importe quoi. Ne fais pas semblant, ne fais pas.Rue de Douai, Allan Beffroi aurait pu marcher à l'envers, gratuitement. Il aurait pu grimper aux arbres de ce square poisseux. Mais il ne faisait que marcher, normalement. Il a réussi à retirer 20 euros au distributeur, quelle soulagement, j'ai littéralement explosé mon découvert, quelle joie de ne pas avoir de fric lorsque tu vis dans une ville comme Paris. Entre Blanche et Pigalle il s'est posé sur un banc, il a fouillé dans une poche de son blouson, il a trouvé la dernière clope, la fameuse. Il l'a allumée... L'extra de 17h, j'sais pas, j'y vais j'y vais pas, à cette brasserie rue de Belleville, faudrait tirer à pile ou face, non, c'est con, j'ai besoin de tunes, de toute façon j'ai toute la ligne 2 à remonter à pied, j'ai le temps d'y réfléchir. Un vieux clodo s'est approché de lui.

T'as pas une clope, s'te plaît ? 
Je fume la dernière. J'te crois pas.D'accord.

Quelqu'un a sifflé. Allan a relevé la tête, j'espère que c'est pas pour moi, j'ai horreur de ça, qu'on me siffle, c'est pas sérieux, ça se fait pas de siffler les gens. De l'autre côté du boulevard, près de la petite station service, une fille le fixait en souriant. Où est-ce que je l'ai vue, celle-ci, dans une soirée ? Elle continuait de le regarder, sans cligner les yeux, elle insistait, elle l'allumait, qui sait, c'est ce qu'il a pensé lorsqu'elle s'est mise à tripoter le pistolet de distribution de la pompe à essence, pourquoi elle fait ça, cette conne ? Alors il s'est levé, a traversé le boulevard, il se dirigeait vers elle, calmement. Mais il l'a esquivée, au dernier moment, et il s'est engouffré comme un débile dans l'épicerie rebeu juste à côté. Il a acheté deux canettes de 1664 puis il est ressorti, s'est approché de la fille, et lui a offert une bière... Où est-ce que je l'ai vue, celle-ci, dans une soirée ? La fille l'a remercié.

Bonjour Allan. Je ne bois que du Chardonnay, mais merci. 

Fais un effort, s'il te plaît. 
Ok... Je parie que tu ne te souviens pas de moi. 
Bien sûr que si. 
Menteur. Alors, c'était où ? Quand ? Et comment je m'appelle, tiens ? 
Je sais pas, j'avoue. Santé ! 
Tu bossais dans ce bar, rue de la Jonquière. Il y a deux ans. A la fin du service, t'as rangé les tables et les chaises, t'as passé le balai, fermé les rideaux de fer, et tu m'as payé des verres tout en faisant la caisse. Puis je t'ai invité à dormir chez moi. T'étais plutôt content, et chaud, aussi. On était tout à fait défoncés, et on a baisé, tu te souviens maintenant ? 
Pas vraiment. 
Après l'amour, enfin si on peut appeler ça de l'amour, je t'ai montré mes carnets, tu te souviens maintenant ? 
Pas vraiment. 
Mais si, merde ! Mes notes, mes textes, inspirés de mes amants, du sommeil de mes amants, de ce que disent mes amants pendant qu'ils dorment, tu te souviens ! 
Ah oui, peut-être. 
Tu te fous de moi ?
Éris !
Plus besoin de faire semblant, Allan se souvenant très bien d'elle, depuis le début il jouait la comédie, il se souvenait de ces textes vaguement surréalistes, Allan les avait appréciés, ces textes, ces Sommeils bavards (voir Chroniques du Diable consolateur, de Yann Bourven, p.91), mais ça, il ne pouvait se l'avouer, c'était lui le putain depoète maudit, comme disent ceux qui publient sans être lus après. Il s'est souvenu d'un passage, ça donnait ce genre de chose :

« Moi, j’aime quand tu danses, quand ton cul frôle lesvisages, mais c’est tes jambes qui m’plaisent, alors laissetomber, maman! Laisse-moi ! De toute façon j’ai oubliéde ranger mes phalanges dans l’frigo ! Donc, arrête-toiici, c’est mort, t’as perdu les clés et merde! Tu fais quoi ?J’arrive, j’arrive, hou la c’est vrai qu’je suis en retard etc’est même pas une vraie gare… Touche pas à mesaffaires sale pute ou j’vais te tuer! C’est juste Anna qu’esttouchée au bide, Anna qui prend la tangente, belleAnna parce que la plage ne me fait plus rêver… Etdirect il fait troooop beau ! T’as vu ? Oui, exactement,tu trouveras Alain dans sa boutique, qu’est-ce que je tedisais ! Il s’est baigné dans l’fossé… C’est toujours lesmêmes qui foutent la merde. Qu’ils rentrent chez euxces connards, moi je suis de gauche. On est entre nouset ça m’fait quand même peur. Non, non, non, non !Tu pars de ma chambre ! Pars ! Tu paaars ! T’es pas monfrère ! T’es qu’un robot ! Si tu me redis ça je m’en fousj’irai pas au bureau ! Métro boulot et voilà ! Tu paierasles courses, alors laisse-moi dormir encore dix minutes…Je suis pas sûr de ce que tu dis, alors regarde ton écrand’ordi et ferme-la une bonne fois pour toutes nom dedieu ! Hahahaha ! Il a rendu les tunes ! Putain il étaittemps, ça devenait dangereux pour lui. On lâche leschiens ! Et j’ai rien compris au cours de M’sieur Ravel,marre de cette philo de bourges. T’inquiète, tu peuxl’poser sur mon lit. Je passerai à la piscine et on pourraparler du chat… Je peux te prendre une clope ? J’aihâte d’être en vacances, vivement l’soleil et les petitestumeurs qui t’embrassent les pieds. T’es pas mortparce que j’te vois dans cette oreille, et j’ai retrouvé testresses dans la baignoire bleue. Belle époque, toujoursà vouloir vivre dans le passé qu’on n’a pas connu,t’écoutes quoi ? C’est Joy Division ou le Velvet. Poseton son et c’est bon t’inquiète pas. J’refais pas un autretour, merde ! Tu le trouves pas ce putain d’mec enscooter ! On va pas y passer toute la nuit ! On s’défoncetrop mon chou. J’ai pas peur de toi ! Et merdemerde -merdemerde, le miroir est brisé… Si jamais je dorsencore debout dans les arbres, il faudra appeler lespompiers de la rue Lemercier ou de la rue des Dames,parce qu’elle est grosse sa bite ! Les meufs le disent !Hahaha. J’ai envie de me pendre, un conifère ça passecomme une lettre à la poste, j’ai lu ça dans les journaux.Putain tu comprends rien à rien. J’ai ma mère quivient me rendre visite la semaine prochaine et je suisdevenu un sale clodo ! C’est la fin du monde ! Lamême que la dernière fois ! Je me souviens bien de toi,tu t’es immolée, chérie… C’est un mouroir, un vraide vrai, et fait trop froid pour allumer la télé. Y auratout l’monde, Lucas, Greg, Pilou et Eva. On va resterjusqu’au lendemain midi parce qu’on est des machinesde guerre ! Même s’ils ne t’acceptent pas, j’m’en fous,j’t’aime trop, t’es la femme de ma vie. J’emmerde lesreligions des petits matins ! Je prends le relais mais onnous tire dessus ! On est attaqués ! Faut pas s’en faire,faut pas s’en faire… J’ai la solution. » Salaud ! Tu m'as volé un carnet ! Je t'ai vu ! Et tu t'en es servi ! J'ai retrouvé des phrases à moi dans ton dernier livre !

Ah oui ? Tu l'as acheté ? Cool.
Connard, plagiaire !
Et toi ? Ça se fait pas de retranscrire ce que disent tes amants quand ils dorment, ils t'ont donné l'autorisation ? T'as pas le droit de faire ça, espèce de salope.
Je ne vois pas le rapport. T'as une dette envers moi... Tu devras me supporter, désormais... Je viens avec toi, plagiaire !
Je remonte à pied la ligne 2, si ça t'intéresse... Je veux bien que tu m'accompagnes, mais tu vas très certainement t'emmerder à mort avec moi...
Je m'en fous, plagiaire !
Éris et Allan marchaient en buvant leurs bières, ils ne se parlaient pas, pour l'instant, Allan devait se coltiner cette fille, il se sentait redevable, en quelque sorte...

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