Une brise de sud-est a dégagé le ciel nocturne de sa couverture nuageuse, comme ils disent à la météo. Le soleil nous donne, cette après-midi, un récital bien agréable. Le fond de l’air est frais mais je décide néanmoins d’élaguer les quelques branches qui troublent encore la belle ordonnance de la haie qui sépare mon courtil des bois voisins. Je taille, je coupe, je sectionne, j’émonde et j’entasse au pas tranquille du campagnard habitué aux travaux des champs. J’oublie rapidement la froidure ambiante et pose la veste. De temps à autre passe un cycliste dans le chemin qui descend vers le fond de la combe. C’est l’occasion de respecter une pause, de parler du temps qu’il fait et de celui qu’il va faire. Un petit groupe d’opiniâtres marcheurs venus de la ville s’inquiète du trajet qui leur reste encore à parcourir. Ils ont mal aux pieds. Les cloches du village annoncent none. Le soleil s’incline déjà vers l’horizon et allonge les ombres des acacias. Je choisis de rejoindre mes pénates. Les dieux lares qui veillent sur mon modeste domaine devraient être satisfaits du travail accompli. Car il ne faut pas s’y tromper. Aussi plaisante soit-elle, l’activité au jardin représente bien un "travail". La preuve ? J’avais un peu froid avant de commencer et j’ai chaud à présent. La thermodynamique est formelle. Tout dégagement de chaleur trahit l’existence d’un travail dont le coût est parfaitement mesurable. Certains qui nous dirigent aujourd’hui ont longtemps prétendu que le coût du travail n’était pas un problème. Que ce n’était que billevesées pour justifier la minceur des compensations financières octroyées aux "travailleurs" en dédommagement de leur peine. On nous dit à présent que, tous comptes bien faits, les billevesées n’étaient pas vraiment des balivernes. Oui le travail a un coût. Il serait même devenu trop élevé. Est-ce à dire que les "travailleurs" dégagent une chaleur excessive ? Qu’ajoutée au réchauffement climatique, elle contribue au dérèglement du temps, provoque des tempêtes et des inondations et nuit ainsi gravement au bien-être de la planète ? N’avait-on pas déjà mis en place les fameuses "trente-cinq heures" pour y remédier ? Que comprendre et que croire au milieu de ces fariboles, sornettes et autres calembredaines qui s’entrechoquent, se heurtent et se contredisent ? Ce ne sont là que modestes broutilles, m’affirment ces deux jeunes gens qui affichent la mine sévère de ceux qui sortent des Hautes Écoles de Tout. En fait, m’explique-t-elle en serrant sa tasse de café entre ses mains dans l’espoir de les réchauffer, baisser le coût du travail permettrait à plus de gens de travailler. Ils pourraient d’autant mieux participer à la relance de la machine, poursuit son compagnon en ôtant ses bottes de caoutchouc et en posant ses pieds devant les braises de la cheminée. Ne craignez-vous pas la surchauffe, demandai-je innocemment ? Mais je n’insiste pas. Ces gens là non pas froid aux yeux et sont parfois capables de s’incruster. Mais je me pose une question tandis qu’ils reprennent la direction de la ville dans leur 4x4 écologique. Que fait-on du travail fourni par les retraités ? Dans quelle rubrique doit-on l’inscrire ? Les documents administratifs comportent-il suffisamment de cases à cet effet ? On voit par là combien est complexe l’organisation d’un monde qui tourne de travers.