Magazine Humeur

Que d'eau, que d'eau !

Publié le 27 janvier 2014 par Rolandbosquet

la_pluie

   J’écarte les volets de la fenêtre donnant sur la terrasse et de grosses gouttes de pluie ruissellent sur les vitres. La scène n’est pas extraite du dernier romand de Philippe Besson, "La Maison atlantique " publié chez Julliard. Elle est bien réelle. Et la vue qui s’offre à moi n’ouvre pas sur l’océan mais sur mon courtil noyé dans la grisaille. Il pleut. Trois jours et trois nuits de pluie sans discontinuer. Et les prévisionnistes n’augurent rien de bon pour la journée qui commence. Le maréchal Mac Mahon, alors président de la République découvrait l’étendue des inondations provoquées par les crues de la Garonne de 1875, et s’exclamait « Que d’eau, que d’eau ! » Il pourrait réitérer cette grandiose envolée lyrique. "Que d’eau, que d’eau !". Les Bretons, les Basques, les Varois et combien d’autres encore purent en dire tout autant : "Que d’eau, que d’eau !". La pluie, dans nos contrées tempérées, est de moins en moins bien accueillie. Quelques paysans, ici ou là, éleveurs, viticulteurs, producteurs de maïs, se plaignent parfois de ses médiocres, incohérentes ou excessives précipitations. Le jardinier prie le ciel, certains étés, pour qu’elle tombe sur ses haricots tout en épargnant ses tomates à cause du mildiou. Mais, la plupart de temps, qui demande de la pluie ? Une averse, peut-être, de temps à autre, pour apporter un peu de fraîcheur lorsque la canicule devient par trop pesante ou trop insistante. Quelques grêlons pour accompagner une boisson anisée. Rien de plus. On le comprend en constatant les dégâts qu’elle peut provoquer. Mélangée à des bulles de gaz carbonique, l’eau peut saborder une sieste toute entière. Abandonnée dans une simple flaque, elle peut souiller des plus modestes des mocassins Weitzman jusqu’aux escarpins les plus chics de la maison Gucci ou les élégantes ballerines Repetto. Quant aux parapluies ! Quoi de plus incommodant qu’un parapluie pour circuler sur des trottoirs encombrés ou dans les transports en commun ? D’autant plus que, dès que l’on arrive dans un endroit abrité tel qu’une échoppe de joaillier, une parfumerie, un salon de thé, on le secoue pour le délivrer de ses gouttes inopportunes et l’on inonde ainsi ses jambes si fragiles et si admirées pour lesquelles on prend tant de soin. Puis on le dépose dans une encoignure, le plus loin possible du regard. Et comme il ne pleut plus lorsque l’on ressort, on l’oublie. C’est ainsi que se sont établies  les plus belles fortunes des marchands de parapluie. La pluie est de moins en moins bien accueillie dans notre monde urbanisé. La campagne elle-même, pourtant si tolérante avec la nature, se méfie de plus en plus. Au départ, la pluie qui tombe sur les collines ne dérange personne. Elle peut même donner, au cours d’un été particulièrement chaud, un regain de vigueur aux jeunes plantations. Mais l’eau dévale ensuite vers le fond de la vallée. Se constitue rapidement en ruisseaux dont le flot enfle et grossit. La pente accentue leur empressement à rejoindre la rivière qui coule en contrebas. C’était en haut un ru au clapotis joyeux et musical, c’est bientôt un torrent furieux qui charrie tout sur son passage, la bonne terre riche en humus, des arbres morts, des graviers,  des pierres aux angles drus, des blocs de granit qui creusent des tranchées larges comme un sentier avant de menacer les dernières habitations des hameaux éloignés. La pluie est de moins en moins bien  acceptée. À la campagne comme à la ville. Mais elle demeure malgré tout un bon prétexte pour ne rien faire au jardin, glisser les "Élégies" de Ferruccio Busoni  interprétées par Marc-André Hamelin dans le lecteur de disques, s’asseoir dans son fauteuil devant la cheminée et ouvrir le dernier recueil de Laurent Bourdelas, "Ashes" aux Éditions L’arbre à Trucs. La poésie y coule de source. Et le monde tourne alors un peu moins de travers.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Rolandbosquet 674 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine