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Ensauvagement

Publié le 07 février 2014 par Rolandbosquet

ensauvagement

   Les journaux télévisés s’en font l’écho chaque année dès que s’élancent les transhumances de l’été. Certains abandonnent leurs animaux domestiques à proximité des refuges. Ils y seront recueillis à moindre risque pour eux et à moindre mauvaise conscience pour leurs maîtres. D’autres s’en débarrassent sans vergogne dans un square, au pied d’un réverbère ou sur une aire de repos à l’occasion du premier arrêt imposé par la nature ou les bouchons. Nombre d’animaux de compagnie retournent ainsi à la vie sauvage. D’autres répondent simplement à l’appel des grands espaces. Ils se glissent sous une clôture, bousculent une barrière chancelante, profitent d’une porte imprudemment entrebâillée. Ils courent, ils sautent, ils s’envolent, ils explorent, ils s’égarent, ils se perdent. On croyait se les être attachés avec des caresses, des soins, de la nourriture. Ils nous oublient vite. Il leur faut d’abord échapper à leurs prédateurs. Ce magnifique gloster-consort au plumage délicatement panaché de vert ignore tout de la perversité de la gent féline. Il se pose sur une branche de tilleul joliment parée de ses feuilles. Elles le masqueront, croit-il, à la vue de ces merles si tapageurs. Erreur fatale. Les petits oiseaux se perchent toujours sur les brindilles qui sont trop fragiles pour supporter le poids d’un chat. Notre canari fera le repas d’un matou lui-même échappé subrepticement d’un appartement où pleure une fillette qui vient de perdre son plus fidèle souffre-douleur. La nature est sans pitié. Samedi écoulé, une énième battue au sanglier a fait résonner la vallée d’appels de corne, d’aboiements de chiens et de coups de fusil. Des chasseurs avaient repéré au milieu d’un bois de fayards et de châtaigniers une souille régulièrement fréquentées par une laie, des marcassins en nombre indéterminé et deux ou trois ragots. Les rabatteurs furent disposés aux alentours et l’étau de resserra bientôt. Il ne leur fallut pas longtemps pour entrer en contact avec l’ennemi. Lorsqu’ils étalèrent leurs prises dans la cour du Nemrod où ils se retrouvaient pour le repas de midi, quelle ne fut pas leur surprise de découvrir le cadavre d’un brave cochon domestique. D’où venait-il ? Par quel hasard avait-il échoué dans ce bois perdu au cœur des Monts ? Comment était-il parvenu à se faire accepter au sein de cette harde sauvage ? Peut-être aurait-il survécu quelques semaines de plus dans sa porcherie. Mais la nature est sans pitié. Journaux, radios et télévisions bruissent  régulièrement de l’ensauvagement de jeunes de banlieues ou d’ailleurs. Ils se réfugient dans les entrées d’immeubles ou dérivent en bandes dans les transports en commun. Ils ne fuient pas la civilisation humaine. Ils lui reprochent de ne pas leur accorder une place en son sein. Bruyants, les nerfs à fleur de peau, toujours prêts à se rebeller contre un ordre qu’ils récusent mais où ils rêvent malgré tout de s’insérer. Parfois, par bêtise et désœuvrement, ils retournent vraiment à l’état sauvage et se comportent comme ces chats qui se jouent de la souris qu’ils viennent d’attraper. Quelle réponse donner à de tels actes ? Comment leur expliquer que ce qu’ils peuvent voir au journal télévisé n’est que trop souvent le reflet de la barbarie ? Comment leur apprendre, puisqu’ils ne le savent manifestement pas, que l’on ne se comporte pas ainsi dans un monde civilisé ? Qu’ils sachent en tout état de cause que la société, comme la nature, est souvent impitoyable pour ceux qui ne respectent pas ses règles. C’est vrai que le monde tourne de travers. Et sans doute tournera-t-il encore longtemps de travers dans de telles conditions.

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