Magazine Humeur

Essentiel à nos vie

Publié le 20 février 2014 par Rolandbosquet

essentiel

   Depuis la revue trimestrielle de la caisse de retraite, le magazine mensuel qui traite de musique classique, celui qui explore l’univers de la science, celui qui raconte les arts, l’hebdomadaire que l’on appelle en bon français un "news magazine" ou son plus humble confrère local qui donne la liste des avis d’obsèques et les jours de permanence du conseiller général jusqu’au quotidien régional qui parle des initiatives départementales, le national qui informe sur les inactions du gouvernement et l’international qui traite des affaires les plus considérables, toute la presse regorge des offres publicitaires les plus alléchantes propres à révolutionner la vie du lecteur. Il faut y ajouter les mirobolantes propositions qui occupent les écrans entre les informations et celles qui coupent ou encadrent les émissions de télévision. On ne remerciera jamais assez tous ces braves gens qui mettent leur temps, leur énergie et leur magnifique créativité à notre service. Pour vivre bien, pour vivre mieux, pour vivre enfin, nous disent-ils, voilà ce qui est essentiel ! Ayant obtenu mon nom, mon prénom, mon âge et mon adresse par je ne sais quel piratage légal d’un quelconque fichier informatique, l’un de ces annonceurs vient de m’adresser un courrier fort aimable. Il y expose dans un dépliant sur papier glacé imprimé en quatre couleurs de rutilants monte-escalier électriques. L’installation, d’une extrême facilité grâce à ses dimensions aussi raisonnables qu’adaptées à mes besoins, sera assurée par des techniciens spécialement formés à cette tâche qui, en véritables professionnels qu’ils sont, mettront un point d’honneur à satisfaire mes plus modestes exigences. Ne restera à ma charge que le choix de la couleur des coussins entre le rouge bordeaux, le grenat, le bleu indigo, l’écossais McGregor, le gris anthracite et le noir perlé d’Océanie. J’avoue que je n’avais encore jamais imaginé que mon bien-être pourrait être décuplé grâce à un monte-escalier électrique. D’autant que ma maison ne dispose ni d’étage ni d’escalier. Me voici donc fort marri. Comment répondre à cet obligeant correspondant sans le blesser ? Comment lui expliquer que sa suggestion me paraît effectivement attrayante mais que ce sont les circonstances qui m’obligent à la décliner ? C’est d’autant plus délicat qu’il  a pris soin d’accompagner sa lettre d’un coupon-réponse sobrement intitulé "bon de commande" ainsi que d’une enveloppe retour prépayée. En fait, je crois que pour me faire pardonner mon refus je vais y adjoindre le catalogue de mon éditeur où sont répertoriés mes ouvrages disponibles ainsi que ceux de mes confrères. Je pourrais même y insérer la carte du charpentier-couvreur de mon village qui profite des jours d’hiver pour fabriquer sur mesure des étagères propres à tous les usages. Agrémentées de livres, elles seraient certainement du meilleur effet dans le hall d’accueil de son entreprise. La lecture étant, j’en suis convaincu, aussi essentielle à la qualité de la vie que les monte-escalier, ce serait pour moi une belle manière de lui montrer toute ma considération. Et j’apporterais ainsi la preuve qu’avec un peu de bonne volonté, on pourrait très bien aider le monde à tourner un peu moins de guingois.

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