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Comme c’est (vraiment) triste, Venise…

Publié le 25 février 2014 par Legraoully @LeGraoullyOff
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Depuis le 22 février et jusqu’au 4 mars, le carnaval de Venise bat son plein ; mais derrière les réjouissances colorées et musicales se cachent parfois des désespérances d’autant plus sombres qu’elles sont tues… En effet, j’avais oublié de vous le raconter, mais le 13 décembre dernier, Hervé Beau projetait au cinéma Les Studios (Brest) son film intitulé Marchands de Venise, qu’il avait réalisé dans le cadre de son master d’ethnologie à l’Université de Bretagne Occidentale ; la salle était pleine à bloc, Hervé avait tout lieu d’être fier de lui, et pourtant, le film ne prête pas vraiment  à rire…

Hervé a passé une année Erasmus à Venise : c’est donc, de son propre aveu, par « fainéantise » qu’il a choisi de consacrer son mémoire de master à la matière qu’il avait sur place, c’est-à-dire aux « interactions touristes-commerçants à Venise et les conséquences de ces interactions sur le quotidien des marchands vénitiens ». Et puisqu’il est vidéaste indépendant avant d’être ethnologue, son mémoire était assorti d’un documentaire nous faisant entrer dans la vie quotidienne des marchands vénitiens ; ou, du moins, ce qu’il reste de marchands vénitiens…

Les touristes ne le savent pas quand ils visitent Venise, ils ne se posent probablement même pas la question, mais ils déambulent dans une ville qui agonise. Car, derrière la carte postale idyllique, il y a l’épée de Damoclès : le plus grand danger qui guette aujourd’hui la perle de l’Adriatique, ce n’est pas tant l’engloutissement que la disparition du tissu urbain ; les Vénitiens qui habitent Venise sont une espèce en voie d’extinction, ils sont progressivement refoulés sur la terre ferme par des loyers de plus en plus prohibitifs, l’affluence touristique faisant grimper le prix du foncier à des hauteurs indécentes. Les commerces qui « font » une ville ferment les uns après les autres, les locaux sont rachetés par des étrangers pleins aux as qui y vendent des pacotilles pour touristes, des quartiers désertés par les artisans qui n’ont pas la chance d’être aussi touristiques que la place Saint-Marc deviennent la proie des criminels de toute sorte, certains marchands, comme la maroquinière du film, habitent dans un ancien cloître dont les cellules ont été reconvertis en logements sociaux – en être réduit à vivre dans une ancienne boîte à culs-bénits, de quoi donner des sueurs froides à certains !

Bref, l’avenir de Venise est tout trouvé : Disneyland de luxe, ville-musée sans commerces, sans habitants, autant dire sans vie, avec tout juste un pittoresque de carton-pâte pour faire joli dans les guides touristiques. Certains touristes en sont conscients, mais beaucoup d’autres ont l’air de s’en foutre, Hervé nous en montre même une qui marchande dans la librairie Acqua Alta, ce qu’elle trouverait probablement inimaginable si ça se passait dans sa ville. Une semaine après la projection, on apprenait la fermeture définitive de cette librairie… Reiser était un écrivain réaliste.

Certes, le film n’est pas larmoyant pour un sou, tous ces marchands gardent le sourire et la tête haute, mais c’est vraiment parce que la dignité est à peu près tout ce qui leur reste… Après la projection, un prof d’ethno qui était là répondait, quand on lui disait que l’interdisciplinarité était un cache-misère : « Et ce qu’on vient de voir, tu ne trouves pas que c’est une misère encore plus grande ? » Hervé envisage de revendre son film à France Télévisions ; c’est vrai que sur la RAI, il aurait moins de chances…

Site internet d’Hervé Beau : http://www.mrbo.fr/


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