Comme l’indique le calendrier des Postes, nous fêtons aujourd’hui les Rosine. Autrefois, lorsque la religion était chrétienne, il annonçait le saint du jour. Qui le portait pouvait être fier des hauts faits de son protecteur. Il ne manquerait pas, à son image, d’apporter sa riche contribution à la société et au monde. Aujourd’hui que la religion est laïque, il n’indique plus, fort platement, que le prénom à fêter. En quel honneur cette illustre inconnue est-elle ainsi glorifiée ? Nul ne le sait plus. On célébrait hier les Vivien. On célèbrera demain les Justine. C’est ainsi ! Et c’est une injustice supplémentaire pour toutes celles et tous ceux qui, bien que de nationalité française, sont d’une origine étrangère immédiate ou issus d’une immigration récente. Leurs parents ont négligé de les affubler du doux prénom de Pierre, Paul ou Jacques, Germaine, Hortense ou Cunégonde. Ils sont donc tout naturellement exclus du calendrier des Postes et privés de vœux et de réjouissances. Comment nos brigades de la bienpensance peuvent-elles accepter une telle partialité ? Car elles veillent. Il suffisait autrefois de reprocher à Dieu de faire trop pleuvoir pour qu’une dénonciation en bonne et due forme tombe dans l’oreille de l’inquisiteur. Après la grand-messe du dimanche, on vous traînait sur la place du marché jusqu’aux pieds de l’homme d’Église. Il en appelait au droit canon, à Saint Augustin, au pape. Il déclamait d’une voix caverneuse des règles de doctrine que vous n’aviez jamais entendues, pas même de la bouche des frères prêcheurs aux offices de carême. Vous disiez oui. Vous disiez non. Étourdi, égaré, à bout de forces, vous avouiez tous les péchés du monde. Et vous deveniez un hérétique digne du bûcher ! Il ne fallait pas longtemps pour entasser quelques fagots et vous dresser au sommet, lié à un piquet, les yeux bandés. Repends-toi ! Les flammes s’élevaient vers le ciel emportant vos cris de douleurs et de rage, les larmes de vos enfants, de votre épouse, de vos parents. Hier, vous étiez un homme ordinaire et sans histoire. Mais la brigade de la bienpensance veillait. On ne fait jamais assez attention à ce que l’on dit. Les siècles ont passé. On ne dresse plus de bûchers. On ne dresse même plus de guillotine. C’est assez dire combien la civilisation a apaisé les mœurs. On ne croit d’ailleurs plus en grand-chose non plus. Ni au ciel ni en l’homme ni en son avenir ! Restent pourtant les anathèmes car l’inquisition demeure. Il faut toujours porter la plus grande attention à ce que l’on dit. Les dogmatiques de l’écologie, les doctrinaires de la laïcité, les exaltés de l’égalité pour (presque) tous, en un mot, les intransigeants de leur normalitude, tous guettent la moindre incartade. Parlez-vous innocemment de la couleur de peau de votre voisin, évoquez-vous son habitude d’étaler son tapis de prière sur son balcon, mentionnez-vous l’avoir aperçu sortant de l’église St Médard, signalez-vous fortuitement l’avoir rencontré alors qu’il se rendait à la synagogue, vous moquez-vous de son accoutrement dans le défilé de la gay pride et vous êtes immanquablement vilipendé, stigmatisé, ostracisé, évincé, exclu, banni. Si la question vous est posée, contentez-vous dorénavant de répondre qu’il vous semble Sapiens de souche. Vous échapperez ainsi à la vindicte des brigadistes et à leurs cris d’orfraie. On voit par là que le monde avance dans le temps mais ne change guère. Ce qui ne l’aide pas beaucoup à tourner moins de guingois. (Lire aussi la chronique du vieux bougon du 8 février 2014 intitulée Normand de souche)
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