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Sagesse populaire

Publié le 12 mars 2014 par Rolandbosquet

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   Bien fou est l’homme qui oublie la sieste, dit le proverbe bantou. Demain, il oubliera sa tête. Il faut avoir la plus grande considération pour les proverbes bantous. Ils puisent leur force et leur discernement dans la sagesse populaire. Il est de bon ton en pays germanopratin de railler le jugement de l’homme du peuple. Il est vrai qu’il n’est pas toujours très distingué. Il ne lève pas le petit doigt pour se désaltérer d’un demi de bière pression le coude appuyé sur le zinc et l’œil rivé sur le pare-brise de sa camionnette garée en double file. Il laisse la sauce couler contre la manche de son bleu de travail en tentant de ne faire qu’une bouchée de son "hamburger" dans le "fast-food" du coin de la rue pendant sa pause de midi. Il parle haut et fort à l’heure de l’anisette pour expliquer à ses voisins qui ne l’écoutent pas les tenants et les aboutissants de mille choses qu’il ignore. Mais il appréhende fort bien le poids de la fatigue du travailleur manuel et ne rechigne jamais à respecter un temps de repos. Observons cet artisan plombier accouru en toute hâte au secours d’une veuve aux cheveux argentés qui l’attend avec impatience depuis une semaine. Admirons la délicatesse avec laquelle il essuie ses grosses chaussures de chantier sur le tapis brosse de sa porte d’entrée. Comment il la salue aimablement en épelant distinctement son nom, son prénom et ses qualités d’une voix forte et intelligible afin que tout l’immeuble sache bien qu’il n’est pas un vulgaire revendeur de serpillières en porte à porte mais un véritable homme de l’art. Conquise par tant de savoir vivre, la vieille dame s’écarte pour le laisser passer. Il entre en essayant de se faire le plus petit possible et écoute attentivement ses doléances, la tête légèrement inclinée pour bien montrer son intérêt. Il veille à ne pas poser sa boite à outils brillante de graisse sur le napperon de coton qui protège le fauteuil du salon mais gagne directement la salle de bain. Là, il marque d’abord un temps d’arrêt pour prendre une longue bouffée d’air parfumée à l’œillet de Provence. Puis il repère le lavabo en question qui le nargue de son aveuglante blancheur. C’est lui ? C’est lui ! Il avance d’un pas ferme, ausculte d’un air pénétré, fait couler l’eau chaude puis l’eau froide et inversement, en examine l’écoulement et se penche en grimaçant pour vérifier le résultat. Ah ! C’est bien ce que je craignais ! Il se relève en grognant contre les rhumatismes qui accablent ses genoux et ses reins. Alors ? Il hoche la tête avec componction et regarde sa cliente avec la tranquille assurance du professionnel qui sait. C’est le joint ! Et d’expliquer avec force détails qu’en dépit des efforts répétés de la ménagère, des saletés se glissent toujours subrepticement dans les circuits. Elles s’accumulent tant qu’elles finissent par envahir les plus infimes anfractuosités. Alors, le caoutchouc durcit et ne peut plus remplir son office. Il faut le changer ! Il fouille fébrilement dans sa boite en fer, écarte une clé anglaise, un marteau, un tournevis. Grogne de nouveau, marmonne entre ses dents. J’ai oublié les joints dans ma camionnette ! Il va sortir lorsque son téléphone portable envoie quelques notes qui se veulent musicales. Il répond sèchement, écoute malgré tout, branle du chef, consulte sa Rolex. J’arrive ! Puis il se tourne vers la pauvre dame qui comprend déjà que la réparation devra encore attendre. Je reviens en fin après-midi.! Et il sort d’un pas rapide, sa mallette de chirurgien à bout de bras. En homme avisé, il a su préserver l’heure sacrée de la sieste. Pour lui comme pour elle. Et il n’oubliera pas, cette fois, la boite de joints dans le fatras de son matériel de plombier. On voit par là combien le repos est indispensable si l’on souhaite parvenir à la plus grande efficacité. Et combien le monde ferait bien de l’imiter s’il espère un jour tourner enfin rondement autour de lui-même.  (Lire l’article de Jean-Pierre Chrétien intitulé :"Les Bantous. De la philosophie allemande à l’authenticité africaine" dans la revue d’histoire XXème siècle, n°8, 1985)

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