Pendant trois jours au moins, la semaine dernière, une triste brume a recouvert la vallée jusqu’à des onze heures du matin. Le chant des tracteurs dans les champs s’en trouva étouffé, les bêlements des moutons estompés et le meuglement des vaches atténué. Moineaux, merles et mésanges erraient ici et là, perturbés dans leurs habitudes. Le jardinier lui-même, indécis, hésitant, tournait en rond dans sa chaumière. Irai-je tailler les althéas, nettoyer les bordures des parterres que mille herbes indésirables s’empressent, l’hiver venu, d’envahir, repiquer les boutures de troènes et de boules de neige mises à enraciner à l’automne deux ans plus tôt ? Quelques pas sur la pelouse gorgée de rosée lui rappellent qu’il serait bien temps de la tondre afin de lui redonner son bel aspect de tapis de verdure. Un regard vers le ciel gris lui apprend que les éoliennes s’accordent du repos. Est-ce à cause de cet intermède au milieu de cette période ensoleillée que nous venons de connaître ? Allons-nous manquer d’électricité ? Les flashs d’information du France-Musique se font d’ailleurs alarmants. Il paraît que c’est la France tout entière qui serait plongée dans la grisaille. Les parisiens vivraient un smog typiquement londonien. La pollution de l’air serait si épaisse qu’elle deviendrait nocive pour les jeunes poumons des enfants et qu’ils seraient contraints de rester dans les classes pendant les heures de récréation. Aucun des spécialistes invités ne parle d’une égale dangerosité pour les trajets d’aller et retour. Auquel cas ils se verraient cantonnés dans leurs appartements et privés d’école. Ce serait l’avenir de toute une génération qui serait compromis. Le retard pris dans l’apprentissage de la lecture, l’écriture et le calcul se répercuterait immanquablement lors de leur entrée au collège. Sortis sans diplômes de notre beau système éducatif, ils ne trouveront pas d’emploi. Faute de pouvoir remplir les cases des imprimés de demandes d’allocations chômages, ils tomberont rapidement dans la misère et l’alcoolisme. Errants, hébétés, sur les trottoirs, ils importuneront les riches touristes chinois en leur demandant l’aumône. C’est l’avenir de toute une génération qui serait compromis. Et l’avenir de la France aussi. Le gouvernement ne pouvait rester inactif. Les services de la météorologie n’avaient pas manqué de faire savoir aux administrations concernées que cette infernale pollution risquait fortement de perturber la normalitude tranquille des Parisiens. La presse s’en empara. Désormais informés, les ministres intéressés se hâtèrent lentement de réunir leurs cabinets et d’annoncer rapidement à la télévision qu’une action allait sans doute intervenir. L’un proposa de créer une commission qui rendrait son rapport sans tarder sinon même avant l’été. Une voix suggéra de donner un vaste coup de balai qui dégagerait le ciel. Un écologiste rappela qu’une loi permettait déjà de n’autoriser la circulation qu’à certaines catégories de véhicules. Car, selon les rapports précédents, cette diabolique pollution serait due aux moteurs des voitures et au carburant utilisé. Les associations de conducteurs se firent inviter sur les plateaux de télévision et de radio pour dénoncer l’ostracisme dont leurs adhérents seraient l’objet. Stigmatiser des boucs-émissaires est contraire à l’égalité pour tout. Mais devant l’urgence de la situation, le gouvernement ne pouvait plus tergiverser. Il décida. Et le brouillard se leva. On voit par là qu’un tel souci du bien public devrait inspirer le monde qui, alors, tournerait sans aucun doute un peu moins de guingois.
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