Vélo, jogging et sport en général, jeu de dominos voire de petits chevaux ou de nain jaune, poker menteur, roulette russe ou coinchée, tabac, absinthe ou même vin rouge, les addictions possibles sont infinies. Certaines sont licites, d’autres plus ou moins tolérées et d’autres pas du tout. Toutes sont nuisibles. Pour les pieds, pour le cœur, pour le foie, les poumons, le cerveau, la qualité de la vie. Les drogues dites dures, particulièrement néfastes, sont naturellement interdites. Qu’en est-il pour la marijuana ? On entend régulièrement réclamer haut et fort sa dépénalisation. Cette mesure ne diminuerait certes en rien sa nocivité pour les neurones mais augmenterait peut-être sa rentabilité fiscale. Non seulement il ne serait plus nécessaire de payer des fonctionnaires de police pour en traquer les trafiquants, mais il deviendrait parfaitement légitime de taxer chaque bouffée comme c’est déjà le cas pour la cigarette. On pourrait même envisager que, pendant une période de transition indispensable à la mise en place du marché, la commercialisation en soit réservée à l’État. De nombreux emplois seraient ainsi créés : producteurs patentés, distributeurs certifiés, grossistes attitrés, concessionnaires agréés, représentants spécialisés, détaillants assermentés et autres débitants boutiquiers. Ce qui aiderait d’autant la courbe du chômage à s’incliner dans la bonne direction. La fiscalisation des bénéfices des entreprises et des revenus des personnes privées ferait par pailleurs faire un véritable bond en avant vers la réduction de l’augmentation des déficits chroniques de tout ordre. Les trafics dans les cages d’escaliers d’immeubles de banlieue disparaîtraient d’eux-mêmes. Les énergies ainsi dégagées pourraient alors venir en soutien des professions du bâtiment qui manquent cruellement de bras pour pousser les brouettes de ciment. Les chantiers navals ouvriraient larges leurs bras aux chaudronniers-soudeurs en herbe. Les brasseries ne chercheraient plus de serveurs en terrasse pour apporter leurs boissons gazeuses aux fumeurs invétérés de pétards estampillés NF. Les plus entreprenantes pourraient même se spécialiser dans des productions à forte valeur ajoutée issues par exemple de l’agriculture bio ou de terroirs à origine protégée. Les terres en jachère connaîtraient un fort regain d’activité et celles en friches retourneraient en culture. Les bénéfices ainsi dégagés pourraient être orientés vers la construction d’autoroutes voire de Lignes à Grande Vitesse pour faciliter l’accès des lieux aux touristes et aux camions de livraison. Il est difficile de mesurer jusqu’à quel point le transport ferroviaire de marchandises pourrait connaître une semblable progression. Mais on peut faire confiance aux écologistes pour militer en ce sens et aux syndicalistes dans l’autre. Certains esprits chagrins déploreront probablement l’affaiblissement ainsi programmé des possibilités de concentration et de raisonnement d’une partie de la population. Cet inconvénient ne présente pas que des désavantages. Les risques de manifestations contestataires dans les grands axes de la Capitale régresseraient d’autant. La criminalité se réduirait à des rares holdups dans les bijouteries par les derniers gangsters travaillant encore "à l’ancienne". Hébétés et l’œil vitreux, les pickpockets et autres arracheurs de sacs à main n’auraient plus la force d’opérer dans le métro ou sur les Champs-Élysées. La maréchaussée affectée à leur surveillance deviendrait disponible pour entretenir enfin des refuges décents pour les Sans-logis. Il ne serait même plus indispensable pour les hommes politiques de proférer des promesses impossible à tenir puisque plus personne ne les entendrait. On voit par là qu’une incontestable voie nouvelle s’ouvrirait pour le monde qui, devenu résolument postmoderne, tournerait plus encore de travers.
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