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Gutenberg, Lagarde et Michard

Publié le 02 avril 2014 par Rolandbosquet

Gutenberg

   Lu cette phrase dans le blog d’un professeur de français rapportant les propos de ses jeunes élèves du collège : « les livres, c’est pour les vieux ou pour ceux qui veulent "se la péter"(*) ! » Il y a cinq cents mille ans, l’évolution de son cerveau et l’acquisition de la parole permettaient à Homo Habilis de transmettre à ses enfants l’art de la taille du silex et la fabrication du fameux couteau suisse. Ainsi transformé en véritable MacGyver, il put diversifier son alimentation et agrémenter de viande fraîche son menu initialement composé des  cinq fruits et légumes requis.  La chasse devint dès lors l’une des occupations favorites de l’homme au même titre que la sieste ou, plus tard, le jeu de fléchette au pub irlandais. Le fait devait cependant avoir des répercussions moins anodines car cet apport de protéines le mènerait, certes bien plus tard, non seulement jusqu’à Schwarzenegger et mais aussi jusqu’à Bernard-Henri Lévy. Aiguisé par l’étude de stratégies toujours plus complexes pour maîtriser les gibiers, son cerveau allait en effet se développer au point de déployer bientôt de véritables idées. En vint-il à parler philosophie, le soir, au coin du feu, après avoir fait la vaisselle et passé un coup de balai ? Les logiques du matérialisme primaire s’opposèrent-elles à la dialectique de l’existentialisme ? Nulle trace n’en subsiste bien sûr. Si les parois de nombreuses grottes exposent encore aujourd’hui des illustrations déjà fort pertinentes du vécu des locataires,  les Michel Onfray de l’époque ne s’exprimaient, hélas, que par la parole. Et, comme chacun sait, les paroles verbales s’envolent avec la brise du matin. Il fallut attendre l’invention de l’écriture pour permettre la transmission des savoirs des anciens aux générations futures. C’est ainsi que, grâce aux récits par Platon de ses interminables banquets, l’étudiant en Sorbonne accède-t-il encore aujourd’hui à la philosophie de Socrate. C’est ainsi que l’élève de cinquième peut-il encore affûter son esprit et en acérer les rouages en traduisant l’admirable roman de Xénophon, "Anabase", qui raconte le périple des "Dix mille" et leur retraite vers l’Hellespont digne des plus grandes épopées napoléoniennes. Il fallut certes attendre que les tablettes d’argiles sumériennes aient séché, que les Égyptiens inventent le papyrus qui devait se révéler si utile plus tard à Christian Jacq pour écrire ses romans historiques, que le roi de Pergame mette au point le parchemin, que le rouleau laisse la place au codex pour que le lecteur puisse tourner les pages plus facilement après avoir humecté son index, que les chinois inventent le papier de bambou, que les Arabes l’importent en Andalousie avec les contes des mille et unes nuits et que Gutenberg y imprime la Bible grâce à une machine de son invention pour qu’enfin apparaissent dans la vitrine de la librairie-bureau de tabac-dépôt de pain de la place de l’église les chefs-d’œuvre de René Goscinny et Albert Uderzo. Sans toutes ces péripéties, ni Catherine Pancol ni Philippe Sollers ni même Jacques Attali ne pourraient dédicacer leur dernier opus au chaland désœuvré qui déambule entre les allées des salons qui fleurissent au printemps. Certes, sans le livre, le collégien comme le lycéen se verraient exonérés des inénarrables Lagarde et Michard, ce qui n’est pas rien. Mais ils n’auraient pas non plus accès aux travaux de Cédric Villani ni à son dernier ouvrage "Théorème vivant". Ce qui serait tout de même dommage, surtout pour sa poésie. En un mot, n’en déplaise aux récalcitrants adeptes du moindre effort, le livre et l’écrit en général ont été indispensables à l’édification de notre civilisation et le seront encore aux générations futures si elles souhaitent, comme il se doit, la réformer et la moderniser. Et le monde, peut-être, tournera-t-il alors un peu moins de guingois. (*Trad. : faire leur malin) 

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