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Remuement

Publié le 04 avril 2014 par Rolandbosquet

remuements

   Remuement. Voilà un mot qui trouve toute sa place au printemps. Le soleil réchauffe l’air et les giboulées remplacent peu à peu les averses. Après les narcisses et les violettes, les forsythias se garnissent de jaune et de jeunes feuilles au vert pâle acidulé. Les prunus et les cerisiers se revêtent de mille fleurs et l’on espère que les terribles saints de glace et leur complice la lune rousse n’en brûleront pas au point d’anéantir toute ambition de récolte. Les moineaux, merles et pigeons  font leurs nids, grues et oies sauvages traversent le ciel en grand tintamarre suivies des hirondelles, les hérissons sortent de leurs refuges hivernaux, les taupes agrémentent les pelouses de pyramides de terre brune et grasse. Le jardin potager s’impatiente et le jardinier a hâte de planter et de semer. Il en va des moissons futures. Il sarcle, arase, aère, arrache et, trace des sillons. Les jours de pluie, il fait l’inventaire de ses salades à repiquer, prévoit les plants de poireaux et de choux et bichonne ses oignons. En un mot, les doigts du jardinier fourmillent de mille empressements : le temps du rempotage est arrivé. Il transvase le magnifique géranium qui avait illuminé sa terrasse l’an passé dans un pot un peu plus grand qu’il a nettoyé à l’eau de javel et opère un surfaçage sévère autour du pommier d’amour. Dès le soleil revenu, il  dégage les pivoines de leur protection d’hiver, coupe les fleurs séchées des hortensias et, bien sûr, tond la pelouse de son courtil.  Il hésite encore à remplacer les pensées qui donnent encore le meilleur d’elles-mêmes par les bégonias nains semés en février et qui attendent avec fièvre de prendre place dans les parterres. Le printemps est en effet propice aux grands remuements. Un peu partout une grisante agitation anime la gent engourdie par les frimas pourtant bien tempérés par le réchauffement climatique. Le citoyen va aux urnes, la ménagère aux Galeries Lafayette et le citadin à la campagne où le paysan surveille ses agneaux. L’écolier visite le parc municipal avec sa maîtresse, l’homme retrouve la sienne avec une ardeur nouvelle, son épouse accroche la housse de couette en flanelle sur le fil à linge et dépose en chantonnant un air guilleret un bouquet de jonquilles sur la table de la salle à manger. Le temps est aux amours naissantes. L’adolescent boutonne et sa "copine" se pâme. Le célibataire hante les sites de rencontres, le veuf les bals populaires et l’esseulée les magazines féminins. De grands remuements s’élaborent et de secrets fantasmes se réveillent. De mouvements en déplacements, de pèlerinages en expéditions, tout bouge, tout change, tout se meut, se balance, s’agite, se décale et, parfois, déménage. L’homme épouse la sœur de sa maîtresse, la concierge part à la retraite, le directeur est renvoyé, le sabotier ferme sa boutique et la couturière emménage avec sa cliente la plus assidue. C’est le grand remuement de printemps qui ébranle tout le pays. Les ministres eux-mêmes changent de marocain dans un grand concert de chaises musicales. On appelle cette symphonie "le grand choc en avant". Et le monde, imperturbable, continue de tourner de guingois. Comme d’habitude.

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