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Bloody saturday (5/04/2014) : le remanie ment

Publié le 05 avril 2014 par Legraoully @LeGraoullyOff

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Tiens, ça, c’est une idée, profiter chaque samedi du relâchement de la tension accumulée durant la semaine pour parler sereinement, avec recul, du fait le plus marquant des huit derniers jours ; c’est un bon principe directeur pour une nouvelle rubrique… Cette rubrique aurait pu s’appeler « Le before du Graoully du dimanche » mais un tel titre n’aurait pas été des plus percutants et, surtout, c’eût été rendre aux petits trous-du-cul de Canal+ un hommage immérité… J’ai pensé aussi à utiliser le mot « débriefing », mais ce terme omniprésent dans le français parlé d’aujourd’hui m’exaspère, il pue encore à plein nez le jeune cadre dynamique qui truffe ses phrases de mots anglais ou pseudo-anglais pour se donner un vernis de modernité d’ouverture sur le monde ; quitte à utiliser l’anglais (et à faire chier monsieur Toubon), autant y aller à fond, d’où l’idée du titre « Bloody Saturday », « Saturday » pour le samedi et « bloody » pour le sang du monde dont les médias font du boudin d’information comme le disent nos amis du Groland.

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Trois types de ministres

Le fait de la semaine, c’est bien entendu le « nouveau » gouvernement ; les guillemets sont indispensables ici tant la composition du gouvernement Valls offre peu de surprise, en dehors de la nomination de Ségolène Royal. On peut classer les ministres maintenus ou simplement déplacés en trois catégories : Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, est sans doute seul dans la première catégorie, celle des ministres qui ont jusqu’à présent apporté satisfaction et dont le limogeage n’aurait pas pas été légitime. La rumeur dit même que Le Drian aurait refusé Matignon, ce qui en dit long sur l’estime qu’on lui porte en haut lieu et sur son sens du devoir qui a manifestement pris le pas sur son ambition personnelle, ce qui en fait un homme rare sur lequel Hollande peut compter et qu’il n’a pas à redouter (notez bien ça, c’est important pour la suite).

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La deuxième catégorie regroupe les ministres trop peu connus du grand public pour être détestés : Vallaud-Belkacem, Touraine, Lebranchu, Filippetti, Le Foll, Pinel, Pau-Langevin et Cazeneuve n’ont pas l’étoffe des grands leaders ni même des têtes de turc, ils n’ont pas réussi à se faire un nom en bien ou en mal aux yeux de l’opinion ; la responsabilité des mauvais résultats de la majorité ne leur incombe donc pas aux yeux de l’électeur moyen pour la bonne raison que ce dernier ne les connaît peu voire pas du tout. Si l’un d’eux, Bernard Cazeneuve, a hérité de l’intérieur, ce n’est pas un hasard : l’ancien ministre délégué au budget est trop incolore, inodore et insipide pour faire de l’ombre à Manuel Valls ou même faire oublier le passage de ce dernier place Beauvau : le nouveau premier ministre évite ainsi de se créer un concurrent potentiel pouvant à son tour utiliser le ministère de l’intérieur comme un tremplin vers de plus hautes fonctions ; de plus, Valls est sûr de garder la main sur « son » ministère, Cazeneuve n’étant pas du genre à la lui mordre.

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Entrent enfin dans la troisième catégorie Fabius, Taubira, Sapin et Montebourg, les « vraies » grandes gueules, ceux qu’il faut surveiller comme le lait sur le feu et qui seraient devenus dangereux pour la majorité si on leur avait ôté leurs portefeuilles : Hollande n’oublie pas l’époque où il était chef du PS et où Fabius, du haut de ses ambitions présidentielles aujourd’hui évanouies, lui avait mené la vie dure. Il n’oublie pas non plus que Taubira s’était présentée contre Jospin en 2002, contribuant ainsi à disperser les voix de gauche et à provoquer (involontairement, il faut bien le croire) le désastre que l’on sait. Il oublie encore moins que Montebourg a été son adversaire lors des primaires citoyennes du parti socialiste et qu’il ne faudrait pas grand’ chose pour que la fougue du nouveau ministre de l’économie se retourne contre lui… Bref, le président de la république a conscience qu’il a vitalement besoin de maintenir un semblant d’unité au PS pour ne pas aggraver les dégâts de la débâcle des municipales, et ne prend donc pas le risque de créer au sein de la majorité une opposition venant s’ajouter à une UMP qui se sent pousser des ailes et mettant des bâtons supplémentaires dans les roues de son pédalo…

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L’art d’éliminer ses concurrents sans en avoir l’air

La nomination de Manuel Valls à Matignon a surpris beaucoup de gens mais elle est tout à fait logique : quand on vote à droite, il ne faut pas s’attendre à ce que le gouvernement fasse un virage à gauche… Plus sérieusement, cette nomination s’inscrit dans la logique d’apaisement des tensions potentielles au sein du PS sans pour autant s’y réduire : Valls lui aussi a été l’adversaire de Hollande aux primaires socialistes, le président n’a pas pu oublier ça pas plus qu’il n’a pu oublier à quel point l’ancien ministre de l’intérieur a mené la vie dure à Martine Aubry quand elle dirigeait le parti… En somme, il était obligé de le garder au gouvernement pour ne pas être débordé sur sa droite. Pourquoi aller jusqu’à la nommer à Matignon ? Vous me direz : parce qu’il ne pouvait plus se permettre de garder Jean-Marc Ayrault et que Valls était le seul ministre à pouvoir revendiquer une certaine popularité. D’accord, d’accord…

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Mais Hollande, derrière son air benêt, est malin comme un singe : il n’a pas oublié l’exemple de ses prédécesseurs et sait pertinemment qu’une tactique pour mettre hors-jeu un allié sur lequel on ne peut pas vraiment compter est de lui confier un poste où il risque de se casser la gueule ; nommer Valls premier ministre, pour lui, ça revient à faire mine de le récompenser pour mieux l’éliminer en tant qu’adversaire, c’est lui faire porter le chapeau des réformes impopulaires, c’est lui donner le mauvais rôle, celui du bouc émissaire, c’est lui tendre un piège dans lequel Valls, avec son impétuosité coutumière, ne manquera pas de tomber… C’est comme ça que Mitterrand a éliminé Rocard, c’est comme ça que Chirac aurait dû éliminer Sarkozy, c’est comme ça que Hollande espère éliminer Valls avec d’autant plus de confiance en sa tactique que contrairement à Ayrault qui était comme un jumeau du président, Valls diffère psychologiquement du président, de telle sorte que si, dans un premier temps, la nomination de Valls pourra faire croire à la constitution d’un binôme d’individualités antithétiques et donc complémentaires (comme a été pensé le binôme Sapin-Montebourg), Hollande pourra, à terme, se poser comme un homme d’apaisement face à un premier ministre dont la fougue peut inquiéter la France profonde et faire de lui le coupable idéal au premier échec… Certes, on peut espérer que la fougue de Valls pousse à un regain d’activité un gouvernement resserré et donc plus aisé à motiver que le précédent, mais je ne parierais pas mes chaussettes là-dessus !

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Que dire de la nomination de Ségolène Royal ? Par la force des choses, François Hollande la connait comme personne et devait donc se douter qu’elle ne resterait pas éternellement silencieuse ; comme elle n’était « que » présidente de région, elle ne pouvait pas être associée à la déroute des municipales et encore moins aux échecs du gouvernement : ne pas lui confier un ministère, c’était donc le plus sûr moyen de prolonger une traversée du désert dont son ancienne compagne, qui a gardé à 60 ans la démarche fière et assurée des jeunes femmes conquérantes, espérait pouvoir ne sortir qu’au bout de quelques années, comme d’un sas décontaminant, apparemment innocente comme l’agneau qui vient de naître, juste au bon moment pour pouvoir porter l’estocade à un gouvernement avec lequel elle n’aurait pas eu à partager les torts. Là, bien au contraire, en lui confiant le ministère de l’écologie, Hollande la met à l’épreuve, la met dans l’obligation de montrer que ses déclarations en faveur de la protection de l’environnement ne sont pas, comme c’est souvent le cas chez ses collègues, de belles paroles ; le président a les coudées d’autant plus franches pour lui faire ce cadeau empoisonné que Valérie Trierweiler n’est plus là pour empoisonner sa vie publique avec des scènes de jalousie à l’encontre de celle qui est devenue une concurrente aussi bien pour elle que pour son ex…

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Conclusion : François Hollande, avec ce « nouveau » gouvernement, montre moins sa détermination à sauver la France que son habileté de tacticien politique dès qu’il s’agit de mettre hors-jeu des concurrents potentiels ; nous nous retrouvons donc avec un gouvernement dont les membres n’ont, pour la plupart, pas obtenu de résultats convaincants et qui ont toutes les raisons de se méfier les uns des autres, le tout par la grâce d’un président qui, sous l’apparence rassurante d’un benêt, cache une âme machiavélique au mauvais sens du terme et applique à la lettre le célèbre conseil « diviser pour régner ». La France est en de bonnes mains, camarades !


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