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Le p’tit bal perdu …

Publié le 16 avril 2014 par Legraoully @LeGraoullyOff

cetait-ptit-bal-perdu-robert-nyel-L-1Le craquement du vinyle sort doucement du vieux pick-up posé sur la commode et le son du disque envahit doucement la chambre vide et froide. Aline revient s’asseoir sur la chaise, au bord du lit médicalisé, elle prend dans sa main celle de sa grand-mère et la sert, comme pour la réchauffer.

Tandis que la voix si particulière de Bourvil prend possession du silence, les yeux où la vie semble déjà partie s’entrouvrent légèrement et les lèvres minces de l’aïeule commencent à bouger.

-Non, je ne me souviens plus … je ne me souviens plus du nom du bal perdu ….. ce dont je me souviens, ce sont ces amoureux, qui ne regardaient rien autour d’eux… ahhh, que j’aime cette chanson ma petite fille.

Les mots sortent avec difficulté et il faut qu’Aline approche son oreille pour en distinguer toutes les syllabes.

La bouche et le langue sont sèches, le traitement médical sans doute. Mais, cette chanson doit faire ressortir des bons souvenirs à la grand-mère, si bien que même si l’effort est douloureux, elle parvient à parler un peu.

-Moi aussi, Aline, j’ai rencontrer un garçon à un bal …. un bal perdu comme celui de la chanson. C’était il y a longtemps …. juste après la guerre, je crois. Nous avons dansé pendant des heures.

La grand-mère se tait soudainement prise par une quinte de toux. Aline, saisissant le verre d’eau sur la table de nuit, le porta à la bouche de la malade et la fit boire, doucement pour ne pas renverser sur la chemise de nuit neuve de sa mamie.

Puis, les souvenirs refont leur apparition, toujours bercés par le vieux disque qui tourne sur la platine.

-C’était la première fois que j’embrassais un garçon ….. et tu sais quoi ? Eh bien, c’était ton grand-père, qu’est ce qu’il était beau … on était beau tout les deux…

Mamie, ça va ? Questionne Aline, surprise par ses révélations. En effet, jamais sa grand-mère ne lui avait raconté ses souvenirs.

- C’est bientôt la fin, Aline, je le sens … je sens que je vais bientôt rejoindre ton grand-père …

Des larmes coulent sur les joues de la vieille dame, les larmes tentent de se frayer un chemin parmi les rides que les années ont creusé.

Non, non je ne souviens plus du nom du bal perdu. Ce dont je me souviens, c’est de ces amoureux, qui ne regardaient rien autour d’eux. Ce dont je me souviens, c’est qu’ils étaient heureux, les yeux au fond des yeux … Et c’était bien… et c’était bien.

Puis la voix de Bourvil et le son de l’accordéon commencent à diminuer, rendant à cette chambre, devenue funéraire, le silence qui s’impose… et les yeux de la grand-mère se ferment.

Aline continue à serrer la main de sa mamie, elle pleure à gros sanglots. Alors elle pose son autre main sur son ventre légèrement arrondi et secoué par les pleurs et pense tout haut, que sa mémé adorée peut partir paisiblement, car la relève arrive.


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