Les chauves-souris sourient. Du moins, celles qui ont la chance de vivre en Europe. Leur habitat s’était nettement dégradé jusqu’à la fin du siècle dernier. En hiver, elles s’abritent généralement dans des grottes profondes sans courants d’air, à température stable et à hydrométrie constante. À l’approche du froid, elles s’accrochent au plafond et tous sexes mêlés, elles attendent le printemps avec impatience. En été, les mâles font la vaisselle et sortent les poubelles tandis que les femelles se regroupent dans des nurseries pour allaiter leurs petits tranquillement et se raconter de histoires de filles sans être dérangées. On voit par-là que les chauves-souris ont imité en beaucoup de points les mœurs des êtres humains. Elles ont tort, bien entendu. En effet, leurs refuges hivernaux réunissent toutes les qualités requises pour conserver dans les meilleures conditions les vins de qualité. D’abord copiés par les viticulteurs pour accueillir les grands crus bordelais, ils furent bientôt réquisitionnés pour les vignobles champenois, les côtes du Rhône et les Châteauneuf du Pape. La crise du logement s’abattit bientôt sur les malheureux chiroptères. Leurs ressources en nourriture connurent le même sort. La crise du logement social ayant également touché les habitants des grandes villes, les propriétaires s’empressèrent de protéger les charpentes de leurs maisons avec des produits chimiques anti tout. L’approvisionnement des pauvres bêtes en larves, insectes et autres amuse-gueules se raréfia. De santé fragile et délicate, elles s’affaiblirent encore un peu plus. Les pouponnières se vidèrent, les crèches durent fermer leurs portes, les soirées d’été retentirent de moins en moins de leurs sifflements aigus et les vampires eux-mêmes regagnèrent leurs Carpates. Il fallut prendre des mesures pour sauvegarder l’espèce. Prenant le problème à bras le corps, les amoureux de la nature édictèrent des normes, établirent des règles, fixèrent des conventions, signèrent des traités, légiférèrent avec entrain et inventèrent des amendes pour punir les contrevenants. Rien de tel qu’un bon procès-verbal pour permettre aux chauves-souris de retrouver le goût de vivre et de se reproduire. Leur nombre aurait ainsi augmenté de près de 40% depuis le début du troisième millénaire. Certes, comme pour les classes populaires de nos banlieues, leur crise du logement n’est pas encore vraiment résolue. Mais nul ne doute que les écologistes de tous poils auront à cœur de vider les chais afin de rétablir les chauves-souris dans leurs droits. À l’issue d’une formation de quelques semaines, les cavistes qui auront perdu leur emploi seront reconvertis en directeurs d’hôtels pour insectes. D’ailleurs, depuis que le cancrelat domestique est enfin reconnu comme un être sensible, de nouvelles vocations d’éleveurs pourront naître et se déployer par tous les territoires. Les chauves-souris ont encore un bel avenir devant elles. On voit par-là que le progrès peut grandement aider le monde à tourner moins de guingois.
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