Ciel brumeux et vent de traverse plutôt frais lorsque Joseph toque à la porte de la cuisine. « Marthe vous envoie ses derniers poireaux ! » Il a déjà tourné les talons lorsque j’arrive. Soigneusement enveloppés dans un papier journal, trois magnifiques poireaux trônent sur la table. Épluchés et lavés, ils sont fin prêts pour la cuisson. De quoi cuisiner une bonne tarte avec des lardons et de la crème normande bien épaisse. En réalité, l’important n’est pas dans le jardin potager mais bien dans les nouvelles qu’annonce le journal daté de la mi-avril de l’an passé. Une étudiante de vingt ans vient de décéder d’une méningite aigüe dans un hôpital de Lyon. On recherche ses proches pour leur prescrire un traitement préventif. Dans la banlieue parisienne, une femme de quatre-vingts ans vivant dans une soupente a été poignardée par sa fille. L‘héritage ne serait pas la motivation de la meurtrière. Des cambrioleurs ont fait feu contre des policiers qui les poursuivaient. Les bandits courent devant et les pandores derrière, comme d’habitude. Dans le département de l’Isère, un jeune capucin a été dérobé à l’affection des siens. Les moines qui suivent scrupuleusement les règles édictées par Saint François d’Assise sont particulièrement désolés mais ils font savoir qu’il faudra plutôt s’adresser au directeur du zoo local au cas où l’on retrouverait l’animal. En Gironde, un détenu d’une maison d’arrêt se serait évadé à l’occasion d’une permission de sortie. Le rédacteur de cet entrefilet aurait dû se relire avant de l’envoyer à la typographie. L’homme en question ne peut s’être évadé puisqu’il avait l’autorisation de sortir. Sa réaction entre donc tout à fait dans le cadre de la normalitude pénitentiaire. Comme chaque année, depuis trente ans, une célèbre agence traque la perle rare. Les ostréiculteurs s’inquiètent pour leurs huitres et veulent renforcer les rondes de surveillance autour de leurs estrans. Ils ont tort. Les chasseurs se contentent de regarder défiler devant eux de longues filles anorexiques montées sur talons hauts qui rêvent de devenir mannequins. L’heureuse élue sera ensuite soigneusement brossée, maquillée et coiffée, comme n’importe quelle concurrente du plus modeste concours agricole, puis photographiée en long, en large et en travers. Les candidates rejetées seront exonérées de toutes ces tortures et pourront regagner leur province dès qu’elles le souhaiteront. Le sous-lieutenant Beauchamps du 138e régiment d’infanterie de Bellac, dans le département de la Haute-Vienne, a été victime d’une chute de cheval au cours d’une promenade. Sérieusement blessé à la tête, il a été immédiatement hospitalisé. Les milieux autorisés n’ont laissé filtrer aucune information au sujet du cheval. Ce qui n’est pas étonnant puisque cette mésaventure militaire se déroulait il y a cent ans exactement. On apprenait par ailleurs et avec le plus grand intérêt, qu’à la même date, la pression barométrique au-dessus de la ville de Nice s’élevait à 763 millibars dans un ciel très nuageux et une mer belle. On voit par-là que le proverbe bantou est bien avisé lorsqu’il postule que l’homme sage se tait, même lorsqu’il n’a rien à dire. Mais le monde en tournerait-il moins de guingois pour autant ?
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