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Le roman du XXIe siècle : Création intellectuelle vs. Tas de papier

Publié le 03 mai 2014 par Ecribouille @Ecribouille

Il y a des moments anodins où on s’étonne que je n’utilise pas ma liseuse. C’est parfois même l’inverse où on s’étonne que j’arrive à lire avec une liseuse.

Il est très courant que je jongle entre liseuse et livre papier. C’est même sans aucun problème que je peux transporter durant plusieurs jours un roman dans mon sac tout en me satisfaisant les autres jours de la légèreté de mon Kindle. Je ne suis pourtant pas réellement early adopter de la liseuse bien que j’acquis la mienne durant l’été 2011. J’avais à l’époque été attirée par l’aspect pratique de la chose et surtout par l’incroyable technologie de l’encre électronique que je trouvais particulièrement confortable. Non pour moi ce n’était pas un écran, mais une feuille de papier magique et rigide qui s’adaptait à ma lecture.

Je n’ai pourtant pas délaissé les livres. J’en achète toujours quand l’opportunité se présente en librairie. Je continue de télécharger des versions numériques de livres également. Ce sont majoritairement des Classiques que je me procure sur ebooksgratuits.com.

Pile à lire

Pile à lire

Je n’aime pas les livres, j’aime la littérature.

Je n’ai jamais snobé le format d’un roman, d’un essai, ou même d’un article de journal. J’ai même déjà photocopié des morceaux de livres à la bibliothèque dans le seul but de pouvoir les lire plus tard. Quant aux romans, quand on a un budget limité et qu’on a déjà de nombreux ouvrages à se procurer pour ses études, alors on ne rejette pas l’idée d’avoir un roman d’occasion tout moche. J’aime d’ailleurs assez fouiller dans les dépôts-ventes de livres et autres Gibert Jeune. C’est parfois en fouillant qu’une envie de lecture naît en moi. Et l’envie naît de la même manière si je regarde par curiosité les dernières parutions d’ebooks. L’opportunité, le sujet et le contenu créent l’envie.
Je fais une exception pour les livres d’art et les livres de design graphique plus globalement. Ces livres sont souvent des démonstrations où le propos se confond entre contenu et contenant. Parmi ces ouvrages aussi intéressant pour leurs propos que pour l’objet, j’ai pu commenter ici Au cœur du mot, Caleçons, culottes et compagnie, A history of graphic design for rainy days, ou encore Diane Arbus, une chronologie. Je suis en somme plutôt bon public.

L’an dernier Place de la toile sur France Culture faisait une émission qui parlait de la crainte de la disparition du livre avec le numérique. Intitulée « Culture du livre, culture de l’écran  »1, l’émission dirigée par Xavier Delaporte et avec l’intervention de Serge Tisseron prenait le problème par un angle qui m’a particulièrement interpellée. La peur du livre numérique réside-t-elle dans la peur de la disparition du livre papier et donc de la connaissance ?

J’ai longtemps, beaucoup, trop, dans tous les sens, argumenté mon point de vue qui veut que pourvu qu’on ait le texte, le support est peu de chose. C’est d’ailleurs en quelque sorte la conclusion de Fahrenheit 451 de Ray Bradbury qu’aime clamer comme manifeste tous les défenseurs du livre.

Et à force d’y penser, de nouveaux éléments me sont apparus.

Le roman est duplicable

Ma deuxième année d’étude en Lettres Modernes a eu un semestre entier consacré au roman. Quels étaient les prémices du roman, les premiers auteurs de romans, les romans emblématiques, la forme du roman, la diffusion du roman… C’était en 2009 et les livres numériques se résumaient en des PDF qui circulaient sans support adéquat. Personne ne lisait sur un ordinateur, et Steve Jobs n’avait pas encore annoncé son iPad2. Le geste de lire du numérique m’était étranger. C’était l’heure où on disait qu’un texte sur un écran doit absolument être aéré, structuré, pas trop pénible à lire. La bonne pratique voulait qu’une vidéo sur Internet ne dépasse jamais la dizaine de minutes ou plus exactement 13 minutes soit la limite qu’accordait Youtube aux diffuseurs lambdas. Tout sur l’écran était court, concis, presque bête dans un discours pré-mâché pour que l’utilisateur numérique n’ait jamais trop à réfléchir car cela le ferait fuir.

D’accord, cela n’a pas tellement changé.

Et lorsqu’on a commencé à cloner des livres sur des supports de stockage numériques accessibles au grand public. On a soudainement pris peur. Copier un livre sur un autre support que le papier était un meurtre, on perdait soudainement tout l’essence du livre. Le papier comme hypomnenata3 millénaire avait été sacralisé non pas en tant que support de connaissance mais en tant que connaissance elle-même.

Sans papier, on perd tout, l’odeur, la passion, l’expérience, le toucher, le geste de feuilleter. On ne perd donc que le papier. Il semble qu’il soit pourtant indissociable du texte. Mais combien de personnes parmi nous peuvent se vanter de posséder toutes les éditions originales des romans présents dans sa bibliothèque ?

Je pense très honnêtement qu’on a perdu beaucoup plus d’expérience du passage du manuscrit du Marquis de Sade de Cent Vingt Journées de Sodome4 à son édition de Poche, que lorsque le texte Poche a été transcrit sur un *.ePub5.

Pour vendre de la photographie, on a inventé ce système ou chaque tirage est numéroté et où plus le numéro est élevé, moins le tirage a de la valeur. La littérature devrait donc fonctionner de cette manière en se dégradant dans le temps au fur et à mesure de ses copies ? Allons dire cela à un moine copiste du Moyen-Âge, il pourrait perdre foi !
Gutemberg, on aura ta peau !

Et l’auteur dans tout cela ?

Qui défend-t-on dans cette histoire ?

Le livre a besoin d’être sauvé, mais contre qui ? Les bibliothèques font extrêmement bien leur travail en permettant un accès à un prix modeste ou même gratuit à leurs ressources. La Bibliothèque National de France semble elle aussi faire son travail de conservation des livres et de leurs contenus.

Je me rappelle d’un chariot de livres que la bibliothèque universitaire devait jeter. Des bibliothécaires conscients de la difficulté à se procurer des ouvrages de ce type par les étudiants avaient nonchalamment laissé traîner des chariots de livres dans les couloirs de l’université pour qu’on puisse se servir.
Je suis incapable de citer qui que ce soit capable de jeter un livre. Même les caisses de vieilles BD mises aux encombrants sont posées dans le désir secret que quelqu’un les ramasse.

Je comprends en revanche qu’on s’inquiète pour le marché du livre.

Pendant ce temps, je ne peux m’empêcher de croire, moi rédactrice numérique, qu’il est peu flatteur pour un auteur que les lecteurs puissent croire que si le texte est copié sur un autre support, alors il perd toute sa valeur.
Écrire demande du temps, de l’imagination, de l’organisation, de la rigueur, bref c’est du travail. On passe d’un brouillon à un premier jet. Puis il y a les multiples relectures, la finalisation, et la diffusion.

Lorsqu’on se décide à diffuser ce qu’on écrit, qu’on ait un blog ou qu’on soit un auteur publié, il y a une forme de sentiment de libération. Soudainement le texte n’est plus à soi, il devient exposé à toutes les critiques et aux éventuels compliments. Par moment j’ai des billets que j’hésite à publier malgré plusieurs heures de réflexion et un temps de rédaction pénible. Cliquer sur l’encart « publier » devient une prise de risque à la fois effrayante et excitante.

Dans le cas d’un roman, n’est-ce pas snober complètement le travail d’un auteur que de considérer qu’on perd toute l’expérience qu’il a voulu mettre dans son œuvre lorsqu’on le lit sur une liseuse ?

J’ai envie de croire que la peur du livre numérique se situe plutôt dans la peur de perdre un rituel de lecture ancré chez les lecteurs. Nous avons tous un petit rituel autour de la lecture. Certains lisent dans les transports en commun, isolés parmi la foule. D’autres préfèrent avoir une tasse de thé et un chat sur les genoux, ou ne lisent que pendant les vacances sur la plage avec les orteils enfoncés dans le sable chaud.

Ne jetons pas la pierre au support

Que ce soit sur un livre neuf, un roman jauni acheté d’occasion avec des pages ondulés par l’humidité, ou depuis une liseuse numérique, apprenons à lire de nouveau. Le roman est un travail intellectuel, certains parlent même d’accouchement. Respectons le texte, et apprécions le pour ce qu’il est. On a chacun son support préféré, ses petites habitudes, et il semble que le marché du livre soit assez vaste pour satisfaire tout le monde.


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