Une longue journée au bureau touchait à sa fin. F. fit pivoter son fauteuil en direction de la fenêtre, et il jeta un regard sur la cour. Le soir tombait sur Paris avec toute la grace dont la nature est capable quand elle accorde ses violons avec la cité, et tout laisser augurer d’une belle soirée printanière. F. distribua encore quelques directives a ses subordonnés, et empli du sentiment du devoir accompli, il rassembla ses effets pour rejoindre son foyer. Arrivé sur le perron, il constata avec joie que le temps était encore clément. Il ferma son imperméable jusqu’en haut et enroula son écharpe autour de son cou avant de s’engouffrer dans le véhicule où l’attendait son chauffeur.
Une fois bien installé, il s’empara de son téléphone pour avertir sa chère et tendre que ce soir il avait bien envie de manger chinois. Il avait reçu peu de temps auparavant un collègue ressortissant de feu l’Empire du Milieu, et il déplorait que malgré l’excellence de la gastronomie française, on ne puisse pas se permettre un bon festin internationaliste de temps à autre. La voiture louvoyait avec habileté dans le dense trafic de la capitale, et F. fut bientôt arrivé à bon port. Le chauffeur lui demanda si c’en était déja fini du régime et des bonnes résolutions. F. lui répondit en forme de boutade que se sustenter dans les cuisines d’un pays qui affiche 10% de croissance ne saurait nuire à son régime. La voiture se gara facilement, avec l’aide d’une demi-douzaine de cerbères musculeux qui avaient sécurisé la zone. L’un deux ouvrit la portière et escorta F. jusqu’à l’entrée du restaurant où sa concubine était déjà attablée. F. compulsa le menu et commanda une choucroute. Le serveur, impavide, fit livrer le plat par une taverne alsacienne toute proche, et servit son prestigieux client comme si de rien n’était.
Les tourtereaux se racontèrent leurs journées, en picorant distraitement dans leurs assiettes. F. expliqua à sa dulcinée l’importance des décisions stratégiques qu’il avait prises, les erreurs de son prédécesseur à la tête de la boîte qu’il avait retenues et qu’il tentait de ne pas reproduire, et la bonne santé globale de l’entreprise. Selon lui, l’avenir ne pourrait être que radieux si les indicateurs persistaient à se maintenir au vert. Après le repas, le couple, légèrement ivre de vin rosé, décida de marcher un peu le long des berges de la Seine pour profiter de la fraîcheur du soir qui commençait de s’emparer de la ville. Toujours sous la bonne garde des culturistes chargés de leur sécurité, les amants firent comme tous les autres dans ces circonstances, échangeant propos futiles, rires complices et vaines promesses d’éternité. F. brûlait de faire sienne la jeune femme. Il fit mander son chauffeur, le pria de ramener la belle à son domicile, puis se fit mener chez sa maîtresse.
Après une courte nuit, F. s’éveilla de bonne humeur. Il prit un petit déjeuner frugal bien que la journée qui l’attendait fut éminnement chargée de rendez-vous importants et de décisions qui attendaient son aval. Avant de partir, il déposa un baiser sur la tête du chat et flatta la croupe de sa maîtresse. Arrivé sur son lieu de travail, il salua tous ses collaborateurs, s’informant de la santé des uns et dispensant compliments et plaisanteries aux autres. Puis après les cérémonies d’usage, il fit son apparition à la réunion où on n’attendait plus que lui. Il jeta un regard circulaire sur l’assemblée en présence et reconnut plusieurs visages familiers. Il y avait quelques amis de longue date, de nombreux petits nouveaux, et une femme avec qui il pensait bien, sans en avoir de souvenir précis, avoir entretenu des relations plus que cordiales. D’ailleurs, ses enfants portaient exactement les mêmes prénoms que les siens. A sa gauche, il y avait Manuel, un collaborateur qu’il avait nommé au plus haut poste (après le sien) suite à la cuisante défaite de son parti aux municipales pour montrer aux électeurs de gauche qu’il avait bien compris le message qu’ils voulaient lui faire passer. F. s’enquit rapidement des résultats des réformes promulguées, et réaffirma avec conviction que la lutte contre la finance était en marche. Pendant que les ministres se concertaient sur l’ordre du jour, il envoya un message d’affection à Pierre Gattaz, qui lui avait inspiré tant de bonnes idées depuis le début du mandat.
Laurent, un vieux de la vieille dans la boîte, demanda à prendre la parole au sujet des conflits qui opposaient les autochtones et leur puissant voisin russe. La France se devait de réagir, au même titre que l’Union Européenne, pour mettre fin à cet antagonisme qui pourrait mettre le feu à l’Europe de l’Est. F. écouta attentivement l’exposé de son ministre. Il assura tout le monde que la situation était sous contrôle, et qu’il faisait de ce dossier une affaire personnelle, prérogative que lui autorisait son statut de président de la République.
Et c’est ainsi que malgré les avertissements lancés collégialement avec Mme Merkel à Vladimir Poutine, malgré l’inquiétude de Washington, et malgré les contorsions idéologiques que celà nécessite, François Hollande a décidé de maintenir la vente de deux navires de guerre à la Russie.
Dans un prochain épisode, nous nous demanderons qui du Président ou des électeurs est le plus gravement schizophrène.