Bien que l’on commande facilement sa pizza sur internet, que l’on saute dans le premier avion pour prendre le soleil de Marrakech et que l’on chausse sans vergogne de bien belles baskets de marque fabriquées à l’autre bout du monde, la géographie séculaire qui régit nos destins administratifs ne saurait être bousculée ! Comment le Lémovice profondément Lémovice depuis plus de deux mille ans et qui participa même à la bataille d’Alésia aux côtés de Vercingétorix en 52 av. J.-C. pourrait-il vivre en bonne harmonie avec les descendants des Carnutes qui arrêtèrent Attila aux Champs Catalauniques en 451, accueillirent Jeanne la Loraine à bras ouverts et tombèrent sous son charme en 1428 et organisent chaque année un exceptionnel concours de piano de renommée internationale ? Comment l’habitant du village de St Sulpice les Champs dans le département le plus âgé de France, le plus pauvre et le moins peuplé pourrait-il partager son administration avec le Poitevin qui battit les hordes sauvages des Wisigoths à Vouillé en 507, arrêta les Sarrasins à Poitiers en 732, entendit les premiers vagissements du futur roi François 1er à Cognac en 1494 et installa Ségolène Royale sur le trône républicain de sa région en 2004 ? Comment le paysan têtu de la vieille ferme bâtie au milieu du 19ème siècle sur le plateau de Millevaches et par ailleurs pur Corrézien du Massif Central pourrait-il partager ses subventions européennes avec les éleveurs de chèvres fabricants de chabichou, les producteurs de Bourgueils et autres rosés de Loire et les pêcheurs au carrelet de l’île de Ré ? C’est impossible ! Ces gens du nord ne comprennent même pas le parler occitan des trobadors et moins encore les patois qui en sont issus ! Vraiment, on est en droit de s’interroger devant tant d’inconséquence de la part de nos élites. N’avaient-elles prévu qu’en dépit des précautions prises pour ne pas déplaire à leurs amis, leur projet de redécoupage des régions déclencherait un joli tohu-bohu dans le landernau ? À moins que leur intention n’ait été de chercher à détourner l’attention tel le prestidigitateur qui fait disparaître le foulard rouge accroché au cou de la vieille dame un peu crédule pour cacher qu’il lorgne en réalité sur la montre-téléphone-appareil photo-calculatrice pendue au poignet de son voisin. Quoi qu’il en soit, avant même toute réflexion, toute discussion et toute concertation, on entend déjà les révolutionnaires réclamer la conservation des frontières et les thuriféraires du changement à tout crin recommander le statu quo : il faut sauvegarder la pureté de nos chemins vicinaux tracés par nos ancêtres depuis des temps immémoriaux. Et pendant ce temps-là, les stagiaires en commerce international restent dans leur pays d’accueil, les petits génies en informatique vont créer leurs "applis" en Californie, les ouvriers d’usine brésiliens se réjouissent de fabriquer des voitures pour les exporter vers nos belles autoroutes touristiques et les parfumeurs chinois remplissent des conteneurs entiers de fragrances élaborées dans leurs laboratoires sur les conseils de nez expérimentés directement importés de la Côte d’Azur. Ainsi va notre monde. Sens dessus dessous et de guingois. Comme d’habitude.
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