Le lecteur aborde d’emblée cet étrange roman avec l’impression de retrouver "Solibo le magnifique" de Patrick Chamoiseau. Et c’est une belle invitation à suivre une langue déroutante pour des oreilles habituées à l’écrit. Yao Poku, le vieux chasseur éternellement assis sous l’arbre tweneboa et serrant entre ses doigts osseux son éternel bol de vin de palme, nous raconte l’arrivée de la fille qui portait une façon de jupe petit petit qui montrait ses cuisses maigres comme des pattes de devant d’antilope. Le bruit, les cris, l’odeur. L’odeur immonde qui ne semble déranger personne dans le village. Les policemans ne tardent pas à suivre avec leurs voitures de militaires, leurs paroles dénuées de sens commun et le manque de respect de ceux de la ville pour ceux des campagnes. La tragédie est en place. L’épopée peut entrer en scène. Lyrique, grandiose, féerique. Mais c’est l’enquête policière en la personne d’un jeune diplômé de Londres qui s’invite. À la fois précise à la façon des "Experts" de la télévision mais sachant aussi s’adapter au monde fluctuant et mêlé des croyances aux ancêtres, des incertitudes de la forêt et du demi-silence des villageois. Et l’auteur nous entraîne avec lui dans les méandres des analyses les plus formelles et les circonvolutions des paroles verbales des protagonistes. L’épopée et le factuel se côtoient, l’un vers l’autre, l’un avec l’autre. Indissociables. S’opposant et se confortant. Le vin de palme du malafourier agrémenté de la décoction du féticheur aide à ouvrir les esprits de ces venus de la ville comme aux habitants à rêver aux temps où les ancêtres avaient installé toutes choses sur la Terre, la forêt, le fleuve, la lumière et tout le reste. Deux univers se déploient sans se confondre. Les hommes, les femmes, les enfants qui vivent là des maigres ressources que leurs procurent leurs petits champs, leurs petits commerces avec ceux de la ville et les passants de la grande route. Profondément ancré dans la tradition et l’expérience de la vie. Leurs font face en les respectant, parfois, les comprenant un peu ou les ignorant surtout, les ambitions des carriéristes avec leurs sommes de calculs, de renoncements et de compromissions pour grimper les échelons ou simplement survivre dans la jungle d’une administration approximative. La science et ses techniques apportent leurs certitudes. Elles n’indiquent pas la solution. Si elle existe. Qu’est-ce que la vérité ? Celle des éprouvettes et des ordinateurs est-elle plus vraie que celle de la vie elle-même ? Le récit conduit le lecteur jusqu’à la dernière page avec une maîtrise digne du Quai des Orfèvres. Alors, rassasiée et apaisée, la lecture peut reprendre calmement et depuis la première page le voyage en compagnie de Yao Poku, le vieux chausseur. Pour le plaisir. (Notre quelque part de Nii Ayikwei Parkes traduit de l’anglais Ghana par Sika Fakambi, édition Zulma)
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