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La sagesse de César

Publié le 17 juin 2014 par Rolandbosquet

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           Surpris mon chat César en embuscade derrière un bouquet de balsamines de l’Himalaya. Elles ne sont pas encore très élevées mais leur ombre semble suffire à mon matou qui guette probablement un mulot à la sortie de son trou. Pas un poil de son épaisse pelisse noire ne frémit. Pas un muscle ne tremble. Seules, peut-être, ses longues vibrisses frissonnent-elles imperceptiblement pour bien prendre les mesures de l’air qui vibrionne autour de lui comme autant d’ondes invisibles. Mais je ne saurais le déranger, il m’en voudrait pendant trois longs jours au moins. Je m’immobilise à mon tour, le pas en suspension et la respiration bloquée pour ne pas trahir ma présence. En réalité, mon  intention n’est pas seulement de ne point troubler sa traque. Après tout, j’ai bien le droit, moi aussi, de me baguenauder dans mon courtil où et quand bon me semble. Je lui assure régulièrement non seulement le gîte mais aussi le couvert et ses rations de croquettes sont en quantités suffisantes pour le nourrir décemment. Il n’a donc nul besoin de chasser pour survivre. D’ailleurs, mon intervention permettrait peut-être d’épargner quelque jeune souriceau intrépide et inconscient encore des dangers extérieurs. À moins qu’il ne soit lui-même si affamé qu’il en arrive à braver le principe de précaution qui lui conseillerait de demeurer pelotonné dans la tiédeur de son terrier au lieu de risquer les pires dangers pour attraper quelque vermisseau, gendarme en tournée ou brouter allègrement quelque jeune pousse à peine sortie de terre. Je milite en effet pour que la vie et sa diversité soient en tout temps et en tous lieux protégées. Non, j’agis, ou plutôt je cesse d’agir, par simple curiosité. Combien de temps César sera-t-il capable de s’imposer cette attente ? Jusqu’à quand saura-t-il ignorer l’agitation qui l’entoure, les mouches qui bourdonnent en tous sens, les papillons qui virevoltent à le frôler à la recherche de fleurs et de nectar, les moineaux qui s’élancent depuis le vieux saule derrière lequel il se tapit, se posent à quelques pas de lui, fouillent l’herbe encore brillante de rosée, s’appellent d’un arbre à un autre, repartent d’un coup d’aile. Cinq minutes ? Dix minutes ? Quoi qu’il en soit, j’admire son application. Je l’imagine le regard fixe, concentré sur son objectif, prêt à bondir sur sa proie. À la fois indifférent à son environnement et sensible cependant au moindre bruissement du sol, à la moindre odeur. Si être patient consiste à rester disponible devant la lenteur du présent, César est assurément d’une patience infinie. Il m’évoque irrésistiblement le jardinier qui, ayant achevé la longue liste des tâches que lui dictent la lune et ses suppôts, se dépêche de s’asseoir sur son pliant, pour regarder l’herbe pousser en songeant à relire avec la délectation du connaisseur "La Lenteur" de Milan Kundera. Mais une des deux ageasses qui ont élu domicile au sommet d’un bouleau tout proche se pose sur une branche du saule. Trop fine pour la supporter, celle-ci s’incline jusqu’à effleurer un pied de pensées dont les dernières fleurs s’éteignent. Surprise, la demoiselle lance un juron et reprend son vol. C’en est trop pour mon Nemrod que je vois instantanément rependre vie, s’étirer comme s’il devait remettre tout son corps en bon ordre de marche et disparaître derrière une poignée de marguerites. Et le monde continue sa course folle, clopin-clopant. Et de guingois comme d’habitude. 

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