L’anecdote paraîtra cocasse à tous les amateurs d’informations parfaitement dérisoires (comme moi) et à ceux qui pouffent comme des collégiens dès qu’il est question de bistouquette. La tenancière d’un salon de massages tantriques de Stuttgart s’est vue condamner à acquitter de la somme de 840 euros au titre d’un impôt sur le « divertissement », entendez sur les activités sexuelles. En effet, la Cour d’Appel du Bade Wurtemberg a estimé que le massage en question procurait un « plaisir sexuel » et que par conséquent il fallait raquer.
Passons sur les imprécations philosophiques du fait de taxer un « plaisir sexuel » qui font ipso facto de la ville de Stuttgart un proxénète. Oublions aussi un instant qu’on vit dans un monde qui taxe le plaisir (sexuel ou non) mais qui ne cesse d’alléger les cotisations sociales sur le contraire du plaisir, c’est à dire sur le travail. Demandons-nous plutôt (ne vous inquiétez pas, je vais le faire pour vous) pourquoi les juges ont immédiatement associé « tantrique » et « sexuel ». A cause du syncrétisme pour simple d’esprit qu’on a coutume d’appeler New Age, et si j’en crois les gloussements et les commentaires que j’ai perçus sur le sujet, le rapport entre le tantrisme et le cul a l’air aussi évident dans l’imaginaire collectif que la défense de la Palestine et l’antisémitisme dans l’esprit d’un ministre de l’Intérieur.
Il faut également convenir que comparé à notre « civilisation » qui a baigné dans 1700 ans de catholicisme coincé du cul, l’hindouisme peut apparaître comme un culte légèrement chaudasse. Rapproche les vitraux d’une église, qui sont une véritable apologie de la dépression, des sculptures de réjouissantes partouzes sur un temple hindouiste, pense aux anges qui n’ont pas de sexes et pense au yoni et au lingam chers à Shiva et à Parvati, et tu verras à peu près où je veux en venir.
Mais le tantra, ce n’est pas que ça. Comme le Kama Sutra n’est pas un manuel de pornographie acrobatique mais un traité de savoir-vivre sexuel, les tantras sont un corpus de rites visant à atteindre la moksha, l’illumination, la fin des réincarnations et tout le tremblement. Ce qu’il y a d’amusant, ce n’est pas le culte (dont je me contrefous éperdument comme de celui du Dieu de Khaled Mechaal, de Benyamin Netaniahou, et de Barack Obama), mais les pépites philosophiques qu’on y trouve. Cherche par toi-même, tu verras que c’est un domaine de connaissances bien plus vaste que le pubis.
Il se trouve donc que ce matin, dans mon train vers le déplaisir, les commentaires allaient bon train (eux aussi) sur la question de savoir si masser la bite d’un client lui permettait vraiment de rejoindre Krishna et ses amis plus promptement. En face de moi, un vieillard se décomposait, et de grosses gouttes perlaient sur son front alors que la climatisation était à fond. Il s’agissait d’un homme d’Eglise qui avait bien du mal à réprimer une érection. Avant de prétexter une urgence aux toilettes pour soulager son âme, il me confia deux textes. Le premier est un sommet d’humour teinté d’une lègère paranoïa rédigé par le centre biblique de Lausanne, qui compare l’hindouisme à une secte. Et se faire traiter de secte par des chrétiens, c’est aussi loufoque que le PS qui fait semblant d’être de gauche quand il est dans l’opposition. Le second texte était écrit en araméen. J’ai juste eu le temps de le traduire vite fait entre Frouard et Nancy, et je vous le livre tel quel.
[...] Pierre et Paul rejoignirent le reste des apôtres à l’entrée du Golgotha, la célèbre night-club de Jérusalem.
- Salut les filles, lancèrent-ils à leurs compagnons. Alors vous êtes allés à la manif’ pour protester contre l’invasion de la Gaule par l’Empire Romain?
-T’es fou? , répondit Mathieu, le préfet a dit que c’était six mois de prison avec sursis si on y allait. Et puis je trouve ça légèrement anti-panthéiste, ton attitude, j’te ferai dire.
- Mais attends, je comprends pas, fit Jean, on est monothéiste ou pas, nous? Je pige rien à cette histoire de trois dieux en un, et puis le culte des futurs saints qui sont pas des dieux mais qu’il faut adorer et garder leurs reliques comme porte-bonheur…. oh et puis merde, on verra quand on y sera. Allez venez, on rentre, on discutera de ça autour d’un mojito.
Las, le videur de l’établissement ne l’entendait pas de cette oreille. Les apôtres eurent beau protester, montrer leurs cartes de membres et arguer du fait qu’ils étaient des bons potes à Jésus, il ne voulut rien entendre. Il ajouta d’ailleurs qu’il avait vu Jésus dans l’après-midi, et que celui-ci lui avait dit qu’en fait on était tous Dieu. C’est pourquoi il estimait que c’était mauvais pour son karma de laisser rentrer les apôtres qui ne consommaient pas assez et ne prenaient même pas de vestiaire.
- Ah, tu vois qu’on est polythéiste, dit Jean.
- Ta gueule, Jean, répliquèrent les autres en cœur.
Les apôtres ne savaient pas quoi penser. Jésus n’avait jamais cessé de répéter que le seul dieu était son daron, et que tous ceux qui pensaient le contraire étaient de petits salopards de mécréants dont l’âme irait pourrir dans un endroit où il fait encore plus chaud qu’en Israël pendant l’été. Judas s’était même pris un taquet quand il avait rétorqué que pour lui l’enfer devrait plutôt ressembler plutôt à la Meurthe et Moselle en automne.
- Tu pénètres les voies du Seigneur, toi? Non, alors tu la mets en veilleuse s’il te plaît, lui asséna Jésus.
Après de longues minutes de réflexion ponctuées de « ta gueule Jean » à chaque fois que celui-ci émettait une suggestion, les compagnons décidèrent de partir à la recherche de Jésus. Comme il y avait alors sept tribus en Israël, ils se répartirent en six groupes de deux, et laissèrent Jean faire un groupe à lui tout seul (note de l’apôtre: n’oubliez pas le bon Jean-Claude, que les autres ne mentionnent jamais dans leurs évangiles pour une raison qui lui échappe. On est donc bien à treize apôtres).
Et finalement ce fut Jean qui trouva Jésus, qui se faisait masser chez Marie-Madeleine.
- Et ben alors, le prophète, ça fait des heures qu’on te cherche partout? C’est quoi cette barbe de hipster que tu te laisses pousser? Et c’est qui le clodo qui pionce à côté?
Jésus releva ses lunettes de soleil et répondit:
- D’une, le simplet, tu ne m’appelles plus « prophète ». Maintenant, je suis un saddhu et j’arpente la Palestine pour échapper aux contingences matérielles de ce monde. Fini de changer l’eau en vin et le Perrier en caïpirinha, maintenant vous paierez vos consos vous même les mecs. De deux le clodo, c’est un mec que j’ai croisé dans le désert. Il ne parle pas un mot de latin, mais il vénère un certain Shiva en fumant des pétards gros comme mon bras. Et il ne dort pas, il médite. J’ai l’accord du daron pour changer de religion. Maintenant, tu te casses parce que tu me bouches les chakras.
Jean, horrifié, partit rejoindre ses collègues en ville. Il imita le cri du rossignol car il n’y avait pas encore Tweeter. Tous les apôtres étaient effarés. A travers toute la Judée, les gens ne croyaient plus au vrai dieu, mais vénéraient les vaches, quand hier encore on menaçait des pires supplices les adorateurs du veau d’or. Jean raconta qu’il avait vu Marie-Madeleine prodiguer des gestes équivoques à Jésus, et que celui-ci lui avait répliqué un truc genre, rien à voir, elle érige mon lingam vers son yoni pour l’élever vers la conscience universelle. Il lui fit même promettre que s’il mourrait jeune à cause d’une énième facétie du daron, il faudrait dresser un bûcher pour Marie-Madeleine, et toutes sortes d’élucubrations du même acabit.
Les apôtres se mirent tous à pleurer et à prier le vrai dieu de ne pas les abandonner.
Puis la lumière se fit au Golgotha, et tous dansaient à en perdre haleine, sans le moindre souvenir de cette aventure.
Au même moment, la lumière fut également dans le bureau de Yahvé Incorporated, le siège social de Dieu. Le Père et le Saint-Esprit se consultèrent, puis le Père décrocha son téléphone pour appeler leurs collègues de Shiva Vishnou Brahma Unlimited.
- Bon, ok, les gars, on vient de finir l’étude de marché. Je suis pas trop acheteur pour l’instant. J’aime pas trop cette façon d’attirer les gens avec de la drogue et du sexe, ça fait trop TF1, j’ai envie de faire un truc un peu plus roots, un peu moins commercial, tu vois….d’accord on se recontacte. A plus sur l’Indus, hu hu hu hu!
Le Père raccrocha et se tourna vers le Saint Esprit. Donc vers lui-même, car le Père est un peu schizophrène. Il se demanda combien de temps Shiva mettait pour se vernir les ongles avec tous ces bras, ce qui le fit ricaner. Puis il envoya une note de service à tout le personnel du Paradis pour une séance de brainstorming. La concurrence asiatique avait l’air de ne pas plaisanter [...]
Il ressort de cet évangile que si Dieu avait jamais pensé à se créer un sexe, le fisc allemand serait moins tatillon. Et c’est ainsi que Krisha est grand, comme disait presque Alexandre Vialatte.