Profitons des vacances amplement méritées de notre prestigieux professeur Blequin pour, une fois n’est pas coutume, parler de foot en deux volets. Le premier concernera le petit club de Luzenac, riante bourgade ariégeoise célèbre pour sa production de talc, qui s’est vu refuser l’accès à la deuxième division du football professionnel pour des histoires de stade pas conforme.
Quiconque a déjà vu la gueule du stade d’Arles Avignon ou d’Evian-Thonon-Gaillard est autorisé à rire de cette mesure. Juste pour resituer les choses à destination des non-footeux, voici le contexte. Luzenac arrive deuxième du championnat de National, et devrait en toute logique se voir attribuer le statut professionnel en accédant à la Ligue 2. La Direction Nationale du Contrôle de Gestion (DNCG), obscure assemblée qui évoque plus une messe noire de comptables satanistes qu’une noble institution sportive, renvoie le club ariégeois à ses études et l’incite à retoquer son budget. Luzenac revient avec les garanties suffisantes et la trombine de rasta chauve de son dirigeant-phare Fabien Barthez, ex-gardien de l’équipe de France de foot championne du monde en 1998. Deuxième refus de la DNCG. Le club saisit la justice civile. Le tribunal administratif de Toulouse envoie paître la justice footballistique de la DNCG et autorise les supporters de Luzenac à aller subir des purges à Niort, à Clermont-Ferrand, à Sochaux, j’en passe et des meilleurs.
Incontinent, la LFP (ligue de football professionnel) met son véto, au motif que le stade luzenacien ne répond pas aux normes de sécurité exigibles pour jouer en Ligue 2. Luzenac a pourtant proposé une solution de repli dans un stade toulousain de rugby homologué par la FFR (fédération française de rugby), mais la LFP n’a pas jugé bon de motiver son refus et Luzenac retournera en National. La flemme de repondre un calendrier alors que le championnat a commencé le weekend dernier, la flemme de rétrograder Châteauroux qui a subi le sort de tous les clubs où est passé Ludovic Guerriero, à savoir une chute qui ferait passer Albert Camus pour un scribouillard à peine digne de recopier les dépêches AFP pour Métro, et pis si t’es pas content c’est le même tarif.
Pendant ce temps, le RC Lens, le deuxième ennemi intime du FC Metz après l’AS Nancy Alsace Lorraine Champagne Ardennes (réforme territoriale oblige) se pointe devant la DNCG avec un trou de 10 millions d’euros dans le budget. la faute à un actionnaire majoritaire azéri, millionnaire et légèrement capricieux qui a tardé à allonger le chèque. Et là, la DNCG qui avait dans un premier temps refusé l’accès à la Ligue 1 au RC Lens, se dit que bon allez, pas de ça entre amis. Il faut préciser que Gervais Martel, le président d’honneur du RC Lens est un vieil ami de la famille au même titre que Lagarda, ancien président du club du Mans qui a réussi à maintenir son club en Ligue 2 en dépit d’un déficit qui emmènerait n’importe quel entrepreneur en cabane pour abus de biens sociaux.
Il ressort de cette histoire bucolique que les dirigeants du foot professionnel ne sont qu’une variété de la mafia bon teint, on s’arrange avec les copains, on emmerde les décisions des tribunaux administratifs qui ont pourtant autorité sur les fédérations sportives, avec un sens de la mesure et de l’équité qu’on ne retrouve guère que chez les dirigeants nord-coréens. On a braillé tant et plus pendant la coupe du monde au Brésil, parce qu’on a étouffé les mouvements sociaux qui protestaient contre les expulsions et les violences policières pour organiser un tournoi de baballe, et chez nous c’est exactement la même. Le père Aulas, président de l’olympique lyonnais, fait sa Cosette dans les média parce le PSG et Monaco sont blindés de thunes pendant que lui, pauvre miséreux, est obligé de construire un stade au mépris du droit public (pour les appels d’offre) et du droit social (pour les gens qui bossent sur les chantiers). J’ignore si Hamlet était plutôt supporter de l’Odense Boldklub ou du FC Kovenhavn, mais il y a définitivement quelque chose de pourri au royaume du football, et par extension du sport professionnel.
Après que j’ai bien chié au museau de toutes ces braves gens, on pourra s’étonner du deuxième volet de ces histoires de ballon. C’est celui-ci en particulier qui m’a fait penser à citer Blequin, anti-foot primaire, en exergue de cette chronique. D’aucuns pourront me demander, mais pourquoi bordel de piano à queue, tu nous causes de ça alors que personne n’ignore que tu supportes le FC Metz?
La réponse est pourtant simple. Je ne suis pas sans savoir que le Nancéien moyen n’est pas plus con que le Marseillais de base, je n’ignore pas que le foot est un divertissement sans doute moins enrichissant que la lecture d’Edgar Morin ou la vision concentrique du cosmos des Indiens d’Amérique. Dans le jargon des footeux, je suis ce qu’il est convenu d’appeler un footix: pas vraiment ultra, je suis les performances de mon équipe préférée de loin en loin, je ne vais au stade que pour les grandes occasions ou lors d’un soir de désœuvrement, ou parce que la compagnie de notre président graoullien bien-aimé et de la faune de la tribune Est m’agrée.
Et pourtant, quand le FC Metz gagne, ça me met de bonne humeur, et quand « on » (et comprenez combien l’usage de ce pronom personnel indéfini est difficile pour un individualiste forcené) perd, ça me gave pendant au moins un soir. Après je picole et j’oublie.
Le truc, c’est que le FC Metz fait partie de mes très rares souvenirs d’enfance. Quand j’étais mioche, je calais ma radio sous l’oreiller, et j’écoutais fébrilement les commentateurs en attendant de savoir si Didier Lang avait collé une sacoche de 30 mètres au gardien adverse, ou si Albert Cartier avait découpé les jambes d’un attaquant, ou si on s’était pris une trempe. Mon premier souvenir de stade, c’est quand Caldéraro a mis son retourné contre Nice. Toutes ces choses sont absolument, rigoureusement et totalement insignifiantes, mais comme j’étais déjà relativement asocial, ça m’est resté. Tout le monde n’a pas eu la chance de s’emmerder à tremper des madeleines dans du thé pour pondre d’insipides pavés de 800 pages. De même, maintenant que je suis moins jeune, je trouve assez sympathique l’image d’humilité que la bande de gamins dirigée par Cartier (devenu entraîneur) renvoie. Et je ricane toujours avec son histoire d’ancêtres qui ont gratté la terre alors que la fortune de la Lorraine s’est plus longtemps appuyée sur la fortune des Lombards que sur les mines et les usines. Bref, je suis assez partial quand il est question du club au Graoully et à la croix de Lorraine. Et je n’en ai rien à secouer puisque cela ne concerne que moi.
Alors soit, chacun a bien le droit de chier sur mes souvenirs d’enfance comme j’emmerde Platini, Blatter, Thiriez et consorts, et je suis le premier à en rire. N’empêche que même si je suis trop bourré demain soir pour suivre Lille/Metz, j’irai quand même voir le résultat le lendemain.