Si vous êtes un peu porté(e) à vous poser des questions aussi insondables qu’à priori inutiles à l’évolution du genre humain, vous conviendrez qu’en ce moment on est royalement servi. Pourquoi, quel que soit le rythme scolaire, les enfants persistent-ils à faire trop de bruit dans le train? Pourquoi Sarkozy n’est-il pas encore en prison? Pourquoi se casser le cul à retourner au turbin après les vacances, pourquoi fait-il plus beau en septembre qu’en août, pourquoi un horrible legging sous une jupe affriolante, pourquoi la rentrée littéraire, doit-on renoncer à vendre du « Mistral » alors qu’on a déjà tant de mal à vendre du « Rafale » ?
Tout cela est bien joli et peut déjà occuper vos cerveaux disponibles un sacré bout de temps si vous n’avez rien de mieux à faire. Mais élevons encore le débat d’un cran. Vous aurez remarqué que Valérie Trierweiler fait un tabac en librairie avec la chronique de ses amours déçues avec le maître de la déception, avec le king du désappointement, avec la star incontestée du mécontentement, j’ai nommé notre président normal. Deux nouvelles questions sans réponse évidente s’offrent à nous. La première consiste à se demander comment François Hollande, avec un physique aussi terne qu’un parking souterrain et un charisme proche de celui de Didier Deschamps sous Lexomil, peut séduire tant de malheureuses qu’il abandonnera seules et éplorées, comme il quitta la gauche en s’engageant au PS? La deuxième question est: est-ce que j’en ai vraiment quelque chose à talquer de la vie intime de ces braves gens et est-ce que j’en ai quoique ce soit à secouer du Parti Socialiste? Et enfin la question subsidiaire, celle qui me taraude le plus, c’est comment une femme bafouée peut prendre la peine de se fendre d’un pavé plein de bile et d’acrimonie détaillant par le menu les vices et les travers du président et avoir attendu je ne sais combien de temps pour larguer l’indélicat? Franchement, Valoche, était-il bien nécessaire de prendre le risque d’éroder le chiffre d’affaire du futur chef d’œuvre de Guillaume Musso et Marc Lévy qui écrivent dans le même créneau que vous, pour nous apprendre qu’Hollande est un bourgeois accro aux patates de Noirmoutier?
Je laisse toutes ces interrogations à votre sagacité, sauf pour les leggings qui sont le troisième fléau qui accable l’humanité juste après Indochine et le virus Ebola, et sur lequel je ne transigerai pas. Après tout, souventes fois le socialiste promit l’eau de rose et nous donna l’eau de boudin. C’est la vie, ma bonne dame.
Ceci fait, faisons comme la classe politique: on s’en fout et ça nous regarde pas ces élucubrations de rombière cocufiée, mais on va en parler quand même. La punchline du bouquin c’est que François Hollande appellerait les pauvres les « sans-dents ». Ce qui prouve qu’il n’est pas si éloigné que ça du peuple puisqu’il sait que plein de gens renoncent aux soins faute d’une couverture sociale suffisante. Si l’on est de droite, on pourra se demander quel est ce peuple de gauche qui est fier d’être sans-culotte et qui geint d’être sans-dent. Ça, pour montrer son cul, il y a du monde mais pour un sourire il y a plus personne. Si l’on est de gauche, on pourra rétorquer à la droite que ce n’est pas pire que « casse-toi pauv’con », et qu’en plus les propos d’Hollande ont été (supposément) tenus en privé et pas en plein salon de l’Agriculture.
D’où une dernière question à laquelle pour une fois on a des réponses. Est-ce qu’on peut, oui ou non, se moquer des pauvres? D’un point de vue politique, rien qu’à voir la dernière sortie de François Rebsamen sur le contrôle des chômeurs, l’entente cordiale entre Valls et le Medef, Montebourg et Mélenchon qui passeraient presque pour des alternatives de gauche crédibles, l’UMP qui passe déjà pour un courant extrémiste du FN et tutti quanti, tu te doutes bien que tout le monde s’en fout des pauvres. La preuve, plusieurs magazines (comme le TIME) tiennent des classements des personnes les plus riches et les plus puissantes du monde, et personne ne daigne présenter une liste des dix plus pauvres ou défavorisés du globe. On fait croire au sans-dents que le football fait de son mieux pour s’astreindre à une règle de fair-play financier et le pauvre ne songe même pas à importer la pratique à l’usine. On lui fait accroire qu’il vaut mieux se ruiner la santé dans un boulot débile et sous-payé (parce que faut pas rêver, on ne lui donne que les abats du marché du travail) et le pauvre trouve que c’est quand même mieux que les minima sociaux. Vous avouerez que le pauvre, en plus d’être modeste, est légèrement con. On présume que la fraude est dans ses gênes (ce salopard aurait chipé 290 millions d’euros à l’Etat, soit le prix de deux avions Rafale que l’État achète à Dassault on ne sait trop pourquoi), et le pauvre trouve que c’est vrai, la voisine elle abuse avec ses cinq gosses de trois pères différents sans compter le dernier qu’elle a pas déclaré à la CAF. Le pauvre est parfois égoïste, mais il faut le comprendre il est pauvre.
Bon, quand c’est le PS ou n’importe quel autre parti qui veut mettre les gens au boulot et remettre de l’ordre dans le pays, on est habitué. Faire comprendre aux pauvres que s’ils sont pauvres c’est à cause des plus pauvres qu’eux et certainement pas la faute des politiques d’emploi absurdes, des banques qui volent plus en un jour que tout ce que les bénéficiaires des revenus de transfert pourront jamais voler, ou des patrons qui ont pour seul horizon métaphysique la baisse de charges, c’est un métier. C’est tellement ancré dans l’inconscient collectif que les pauvres s’y sont résignés et ne grognent même plus.
Mais je pense que Mme Trierweiler ne devrait pas trop la ramener sur le sujet. C’est bien gentil de rappeler qu’on vient d’une famille de prolos et de pousser les hauts-cris pendant que le président bâfre des gariguettes en se gaussant des miséreux, mais si c’est pour raconter sa vie dans Paris-Match, c’est bien la peine. L’ex-Première Dame s’est elle déjà demandé si son lecteur/sa lectrice se sentait aimé et respecté quand on lui bourre le mou avec des recettes de tarte au mur sauce princesse de Galles, avec la dernière murge de Gérard Depardieu, ou avec Mimie Mathy en maillot de bain ? Est-ce bien une marque de considération à l’endroit des gueux que de leur montrer sans trêve que partout dans le monde il y a des gens beaux, cultivés et fortunés qui se la coulent douce alors qu’eux sont souvent laids, chafouins, paresseux, alcooliques et n’iront jamais en vacances plus loin que la Grande Motte? Et si chaque pauvre racontait les épilogues de ses histoires de cœur à un million d’euros le bouquin, la croissance reviendrait elle, la cause féministe s’en trouverait-elle renforcée, et l’hygiène bucco-dentaire sera t-elle le grand chantier présidentiel du mandat?
En conclusion, je pense que non seulement nous pouvons légitimement nous moquer des pauvres mais qu’en plus qu’il s’agit d’une attitude extrêmement saine. Ils n’ont qu’à pas venir nous apitoyer avec leurs habits sales, leurs cheveux gras (s’il n’y avait que les dents!), leurs caddies Leader Price pleins de vinasse et de gras, et leur petit air suppliant de chaton affamé. Ensuite parce qu’avec le combat Valls/Sarko/Le Pen qui nous attend en 2017, il vaut mieux en profiter pour rigoler tant que c’est légal.