Magazine Humeur

Hygiène et cellulose

Publié le 06 septembre 2014 par Rolandbosquet

cellulose

       Je me souviens avoir aperçu un jour à la télévision une publicité plutôt astucieuse où un bambin dodu et joufflu comme il se doit agitait du haut de l’escalier de pierre de l’hôtel particulier de ses parents un rouleau de "papier toilette" en appelant sa mère. Il venait manifestement de satisfaire à un besoin naturel et semblait ardemment désireux d’en nettoyer son jeune fessier. Rouge de confusion, sa mère se voyait contrainte de poser en toute hâte sa coupe de champagne sur le plateau d’argent que lui présentait un majordome, d’adresser un sourire crispé à son interlocuteur habillé en ambassadeur et à son épouse déguisée en mannequin de maison de haute couture et de voler littéralement au secours de son fils au risque de perdre son soulier de vair dans sa course. On s’étonnerait aujourd’hui, où l’égalité des sexes est une religion, que l’enfant appelle spécialement sa mère en de telles circonstances. Pourquoi pas le père ? Mais peut-être celui-ci était-il en grande conférence téléphonique avec ses banquiers, son chargé de pouvoir au sujet d’un vaste chantier en Patagonie ou, plus simplement, quelque cabinet ministériel ; ce qui explique pourquoi l’enfant appelle sa mère tandis qu’elle accueille ses invités comme toute bonne hôtesse qui se respecte. En tout état de cause, cette scène on ne peut plus charmante expose avec éclat le niveau élevé de civilisation auquel sont parvenues nos sociétés depuis les Romains de l’antiquité qui utilisaient une éponge au bout d’un bâton, les Japonais du moyen-âge qui négligeaient l’éponge par souci d’économie ou même Louis XIV qui purifiait ses royales fesses avec de la dentelle. Il faut pourtant savoir que ce papier d’une si belle modernité est fabriqué à partir de fibre de cellulose, elle-même obtenue à partir des arbres de nos forêts. Combien de chênes, de châtaigniers et autres fayards sont-ils ainsi abattus au cours d’une vie d’homme ? Qu’ils le soient pour fabriquer une charpente, une table, une chaise, une jambe de bois semble parfaitement légitime. Qu’ils le soient pour réchauffer les vieux os de quelque centenaire qui ne se résout pas à abandonner son cantou au bénéfice de l’électricité nucléaire, du gaz de schiste ou du pétrole saoudien indique qu’il jouit d’une conscience écologique avancée. Mais qu’ils soient sacrifiés pour cet unique et si trivial usage témoigne d’un goût immodéré pour le gaspillage. Pourquoi n’utiliserait-on pas du papier recyclé ? Certains magazines trouveraient là une réelle utilité. Ainsi cette publication vengeresse de mégère bafouée qui pollue tant l’actuelle rentrée littéraire déjà fort prolixe. Puisque qu’il n’est pas possible, au nom de la liberté, d’en empêcher la fabrication, la diffusion, la vente et la lecture, ce serait déjà une consolation de savoir qu’elle affecte un peu moins la biodiversité et participe, à sa manière, à la protection de la nature. On pourrait même éviter la phase de production et de commercialisation de ce si coûteux "papier toilette" en procédant directement, page par page, comme au XIXème siècle. Et le monde poursuivrait plus joyeusement encore sa marche forcée vers son avenir radieux. (Merci à Éric Guillotte de m’avoir suggéré cette chronique dans son billet du jeudi 4 septembre sur son site : http://www.ilparaitrait.com)

Suivre les chroniques du vieux bougon en s’abonnant à newsletter


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Rolandbosquet 674 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine