D'une compagnie à l'autre

       C’est fait ! À l’issue de longues tractations sous le boisseau qui duraient depuis le début de l’année, la Word Eole Trade Compagny a racheté la modeste société Éolien-Investissement qui avait engagé les économies de quelques notables de la région dans le parc éolien qui surplombe actuellement notre vallée. Sa situation privilégiée face aux vents d’ouest offrant une durée de fonctionnement supérieure 2200 heures par an, les nouveaux propriétaires reprennent bien entendu à leur compte le projet d’édifier sur la colline qui lui fait face un nouveau complexe électrico-éolien aux bénéfices tout aussi prometteurs. Les retombées économiques attendues pour les finances communales laisseraient espérer une non-augmentation des impôts avant longtemps. "Pas avant trois années au moins" affirme notre premier édile qui a vu, dans l’opération, l’occasion de changer sa voiture et de faire construire une extension à sa grange principale. Nul doute par ailleurs que lors de la prochaine session ministérielle, lui-même et son conseil municipal se verront agrafée à leur plastron la fameuse éolienne d’or. Peut-être même seront-ils autorisés par la Grande Commission Européenne à arborer le label aux trois éoliennes sur fond d’azur et serpent de mer en tête des dépliants touristiques ! Le patron du Grand Hôtel Central, sis au pied de l’église, se frotte les mains par avance. Comme ancien vice-président de la société Éolien-Investissement, il a déjà posé des options d’achat chez le notaire pour trois masures inoccupée sises en lisière des bois afin d’y aménager des gîtes de luxe. Et comme président de l’Office Intercommunal du Tourisme, il se fait fort, explique-t-il à l’encan, d’attirer les visiteurs venus de tous les pays d’Europe et peut-être même d’Australie. Il aurait à cet effet pressenti une jeune technicienne diplômée pour faire visiter les lieux au cours de randonnées pédestres, à VTT, à cheval et en chartil comme autrefois. "Le terroir rejoint la modernité écologique", se plaît-il à répéter à ses clients un peu éberlués. Ils venaient traditionnellement dans son établissement pour jouir en paix de la beauté des paysages, de la qualité de l’air et du sourire plaisant des habitants. Persisteront-ils ? Selon la rumeur qui court entre la boucherie, la superette et le bureau de tabac-marchand de journaux, il n’aurait pas encore parlé d’aire de stationnement réservée aux autocars, camping-cars et autres caravanes. Mais chacun s’accorde à penser que l’idée ne saurait tarder à jaillir de son cerveau en ébullition. On pourrait d’ailleurs imaginer, dans le même ordre d’idée, que le père Pujol, du hameau des Trois-Chênes, un vieux taiseux un peu bougon bien ancré au fond de sa campagne, se reconvertisse utilement dans la gestion et l’animation d’un Centre International de Méditation tant sa ferme est idéalement située à égale distance des deux sites. Ce qui aurait pour effet de faire venir les touristes habituellement rebutés par les vents de la morte saison. Mais selon mon amie Marthe Dumas, du Mas du Goth, qui est généralement bien informée des moindres ragots circulant alentours, il ne serait pas exclu qu’un recours devant le tribunal administratif soit déposé par plusieurs candidats malheureux aux dernières élections municipales. Il faudra néanmoins attendre que le Préfet ait signé le décret. Or, on aurait appris par un cousin d’un ancien professeur d’université aux convictions écologiques affirmées qui émigre chaque été dans notre vallée, qu’il serait mal noté au ministère et qu’il pourrait être muté dans quelque département auvergnat. Ce qui risque de repousser l’indispensable parafe aux calendes grecques et la dégradation définitive du paysage plus loin encore. On voit par-là qu’il faut toujours espérer en un monde meilleur surtout lorsqu’il court joyeusement vers son avenir radieux. (Photo de la cathédrale de Coutances vue sur le site : http://www.allier-citoyen.com)

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