Quand on est femme et nouvellement mère il y a une période particulière de sa vie de laquelle on doit renaitre. La venue au Monde d’un enfant nous plonge dans un tourbillon d’émotions qui trouve son apogée à la reprise du travail.
J’ai connu la fusion avec mon premier bébé. Il est né quasiment un mois avant la date initialement prévu par la réglette de ma gynéco et j’ai fini de le couver en le portant en écharpe, en l’allaitant et en pratiquant le cododo. Impossible de me séparer de lui. Le laisser dans d’autres bras que les miens étaient un déchirement. Le perdre du regard une amputation. J’ai crée une bulle de douceur pendant 8 mois. J’oubliais la femme en moi et aimais ce nouveau statut qui me donnait un sens. Donner la vie, vivre pour un autre que soi, pleurer des larmes dans ses yeux, souffrir dans un autre corps, nourrir de mon lait, endormir de mes bras, rire aux éclats devant chacun de ses gestes. S’oublier, m’oublier pour être tellement bien dans cet autre Je.
Et puis le soir n’avoir que lui à raconter, que ce centre d’intérêt. Ne s’habiller que pour sortir la poussette, hésiter entre le tour du paté de maison ou le grand tour jusqu’au magasin plus loin. Ne plus avoir rien à me mettre que des tee shirts troués pour allaiter et des odeurs de lait caillé. Les amies de passage pour boire un café, à chuchoter pour ne pas le réveiller. Et puis toujours le même rythme litanie rassurante au parfum d’éternité. Chaque jour les mêmes gestes rassurants, la tétée à droite, la tétée à gauche, la purée cuisinée, les compotes dégustée, la sieste au sein. L’univers entier qui tourne autour de cette bulle douillette, proprette et si légère.
Puis la reprise au loin. Imaginer d’autres bras, d’autres moi. Envisager de ne pas être indispensable. Comment va-t-il faire pour manger sans mon sein, dormir sans mes mains, jouer sans mon parfum? Cette angoisse qui nous saisit alors. Comment ai-je pu rendre ce petit être si dépendant de moi? Ce qui me semblait vitale et indispensable se transforme subitement en accoutumance violente, drogue dure… La colère nous saisit. L’exigence pointe son nez. Mais pourquoi ce bébé n’est-il pas comme les autres? Pourquoi il ne dort pas loin de moi? Pourquoi ne sait-il pas téter une tétine, boire du lait en boite carrée? La peur. On y arrivera jamais. Il va mourir sans moi. La tristesse de devoir le laisser de laisser cette bulle éclater.
Mais pourquoi ai-je fait un bébé? Je ne ressentais pas tout ça avant. J’ai rien demandé… Je pouvais me plaindre, pleurer, aller comme bon me semblait sans avoir une autre vie à gérer. Je touchais la Liberté et l’ignorait quel gâchis.
Et puis un sourire l’instant d’après plonge tout mon corps dans un océan d’amour une vague de chaleur qui me fait tout oublier et me donne un sens dans ce Monde.
Cette tempête d’émotions n’empêche pas le cadran de tourner.
On s’achète des chaussures et on ressort le vieux mascara tout séché. On pousse la porte d’un magasin de vêtements et tente de rentrer dedans. Dans la seconde qui suit on file au rayon petits pour s’excuser d’avoir failli oublier. On ressort le sèche cheveux. Les gestes mainte fois répétés devant la glace reviennent comme avant mais si différents.
Et puis ce matin là. Il faisait froid. J’ai dû le laisser pour la journée pour aller travailler. 9 heures. Impensable, invivable. Le plaisir de me retrouver seule avec de la musique précédait la douleur de la perte d’un membre de moi même qui précédait également le plaisir de n’avoir que soit à nourrir. Le bonheur de parler à des adultes et tout à la fois la tristesse de l’éloignement.
Chaque jour avancer, un pas après l’autre. 9 mois pour se connaitre et des milliers de secondes pour vivre l’un de l’autre.
J’ai connu cette période, deux fois. Je m’en suis relevée, un peu plus forte, un peu plus fragile.
Je suis désormais celle là tout à la fois maman tout à la fois femme tout à la fois moi.