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Sémillante Amélie

Publié le 25 septembre 2014 par Jlk

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Sur le vingt-troisième roman d’Amélie Nothomb, Pétronille. De l’irrésistible humour de la romancière. Du jugement des cuistres et des qualité et limites d’un style unique.

(Dialogue schizo)

Moi l’autre : - Donc nous sommes d’accord avec la rumeur : le dernier Nothomb est du meilleur cru…

Moi l’un : - Tu ne m’en voudras pas de ne pas filer la métaphore sur le pétillant de la chose genre champagne, vu que les médias nous en ont saoulés.

Moi l’autre :-  C’est vrai qu’à s’en tenir au premier buzz et au déferlement de pub déguisée que devient un peu partout la chronique des livres, on pourrait dire que ce « roman » se résume à la pétillance du champagne dont Amélie se gorge  avec sa compagne de beuverie…

Moi l’un : - On pourrait croire aussi que les médias ont essoré toute surprise, avec la complaisante complicité d’Amélie, et qu’on peut se passer de lire Pétronille vu que la story est dévoilée de bout en bout. Donc je résume celle-ci vite fait : Pétronille évoque le besoin soudain d’Amélie Nothomb, au tournant de la trentaine et venant de s’installer à Paris, de se trouver un ou une bonne âme buveuse avec laquelle se siffler des flûtes, et voici donc Pétronille  apparaître, étudiante sortie de milieu prolo et que les livres de Nothomb ont toujours fait se poiler, qui devient à son tour romancière – on sait déjà que le modèle est la jeune et craquante Stéphanie Hochet. Donc sachant tout ça, on pourrait se dire qu’en lire plus n’a guère de sens.

Moi l’autre : - Mais…

Moi l’un : - Comme tu dis l’ami : mais. Mais il y a la patte de Nothomb, la phrase de Nothomb,le ton absolument unique d’Amélie, l’humour et le sens de la pointe d’Amélie, sa débonnaireté et sa vacherie.

Moi l’autre : - Et ses dialogues !

Moi l’un : - Alors là, c’est le fil de la pointe. Et c’est ce qui fait de Pétronille une espèce de roman à la Compton-Burnett, en dessinant les deux protagonistes au fil du dialogue. Pas moyen de les confondre : Amélie ne parle pas comme Pétronille, et pas ça d’empâtement psychologique pour autant.

Moi l’autre : - Tout de  même c’est limite light. Tu as cité la géniale Ivy Compton-Burnett, mais c’est quand même tois cran en dessous.

Moi l’un : - Yes sir,it is. Mais c’est néanmoins trois crans au-dessus de la plupart des dialogues filés dans le roman français actuel, quoiqu’en disent les cuistres plus ou moins chagrins ou jaloux..

Moi l’autre : - Et les formules de Nothomb !

Moi l’un : - Sa façon en deux phrases de distinguer l’émanation physique de la campagne anglaise, après la française. Je cite : « Avant la traversée de la Manche, les champs vides étaient tristes aussi, mais là, je sentais que leur tristesse différait. C’était du chagrin anglais »…

Moi l’autre : - Et le portrait de la chieuse punk !

Moi l’un : - En deux pages, toute la morgue d’une vieille star de la mode est épinglée dans l’expression de « rombière boulotte », dont il ne restera qu’un caca de sa chienne Beatrice…

Moi l’autre : - Du moins faudra-t-il les « insultes écossaises » de Pétronille pour pallier l’impuissance d’Amélie, trop bien élevée, à se défendre…

Moi l’un : - Et la visite du British Museum ensuite. Un petit morceau d’anthologie, avec chiquenaude en passant à « l’atroce effet Guide Bleu », aussi bien vu que la sinistre stalinienne débitant ses clichés sur la « conscience du bonheur perdu » des Allemands de l’Est.

Moi l’autre : - Aussi,c’est une belle histoire d’amitié. Pétronille est un pote épatant, si l’on peut dire.

Moi l’un : - La complicité des deux jeunes femmes, il faut le souligner, découle de leur passion commune pour la littérature. On est loin des bas-bleus, mais ce que René Girard appelle la médiation externe joue à plein. On ne verra jamais les deux lettreuses en rivalité mesquine : on dirait deux soldates réunies par un beau drapeau.

Moi l’autre : - Il y a aussi du Martine aux sports d’hiver…

Moi l’un : - Tu as tout à fait raison : il y a du Martine chez Nothomb. Ou des bonheurs de Sophie. Avec un air  roman de jeunesse : quand Pétronille dit qu’elle va marcher dans le désert pour ne pas « devenir rance », ou quand elle prend le deuil après la mort de Jacques Chessex parce que celui-ci lui a écrit, après avoir lu son livre, qu’elle est à la fois un enfant et un ogre - on flotte dans l’épique juvénile.

Moi l’autre : - Il y a aussi une très belle page (126) sur l’amitié, présentée comme « cette étrange forme d’amour si mystérieuse, si dangereuse et dont l’enjeu échappe toujours »…

Moi l’un : - Oui, il y a toujours une page 126, chez Nothomb, qui relève d’un autre niveau de profondeur.

Moi l’autre : - N’empêche que c’est  bien court !

Moi l’un : - C’est le régime Nothomb : un roman par année, lu en deux heures. 

Moi l’autre : - Tu re trouves pas ça trop limité ?

Moi l’un : - Oui et non. On sera curieux de la voir avancer en âge et se prendre les pieds, une bonne fois, dans son pyjama d’écriture orange…

Moi l’autre : - La chute rappelle un peu la mort de l’auteur dans La Carte et le territoire

Moi l’un : - Disons qu’Amélie boxe dans une autre catégorie que Michel Houellebecq. Mais la paire vaut bien mieux que ce qu'en disent ses détracteurs cuistres ou chagrins…

Amélie Nothomb. Pétronille. Albin Michel, 168p.


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