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Un drame épouvantable...

Publié le 23 octobre 2014 par Rolandbosquet

drame

vient de se dérouler dans un village voisin. Pas un drame aussi flamboyant qu’un orage d’été avec des grêlons gros comme des œufs de cailles, des coulées de boues dévastatrices et des inondations catastrophiques. Pas un drame aussi grandiose qu’un avion qui s’écrase, deux trains qui se télescopent ou l’une de ces guerres meurtrières qui illustrent si somptueusement les quatre coins de la planète. Mais un drame tout de même qui a bouleversé toute la population des environs et l’émeut encore une semaine après. Hormis quelques irréductibles encore accrochés aux traditions comme mon amie Marthe Dumas, du mas du Goth, mes voisins agriculteurs Hélène et Sébastien ou quelques rares fermes-auberges caressant encore l’espoir de distraire ainsi leurs estivants, il y a jolie lurette que les basses-cours ont disparu des courtils. Le bourg de ce village était donc bien dépourvu du moindre coq perturbateur depuis longtemps. Jusqu’au jour où un brave professeur d’histoire émigré de sa région parisienne fit l’acquisition pour une bouchée de pain de l’ancien presbytère. Il y réalisa les travaux indispensables à une vie citadine confortable mais la nostalgie sans doute d’une vie antérieure où ses parents se débarrassaient de lui en l’envoyant épuiser les joies de la campagne auprès de sa mère-grand, le conduisit à restaurer l’antique poulailler à grand renfort de planches de châtaignier, de charpente de sapin des Vosges et de grillage protecteur. Puis il investit dans l’achat de quelques poules réputées bonnes pondeuses et d’un superbe coq aussi vigoureux qu’entreprenant. Le centre-bourg fut bientôt sorti du lit dès l’aube par ses talentueuses incantations au soleil levant. Les maisons des alentours étant désormais habitées par des retraités et autres personnes âgées ayant connu dans leur enfance les joies du réveil précoce, on grogna bien un peu mais on pardonna cette lubie en se disant qu’elle ne saurait qu’être passagère. Jusqu’au jour où la mère du boulanger fit une mauvaise chute en voulant éviter son chat et fut internée d’office dans une maison de retraite. Son petit-fils venait justement de présenter sa dernière conquête féminine à ses parents. Il fut décidé que les tourtereaux s’installeraient dans la maison de l’aïeule. La donzelle, que le hasard et l’amour venaient d’arracher à sa capitale régionale, ne connaissait rien aux joies de la vie campagnarde, aux poules et aux jeunes coqs, hormis son compagnon bien sûr. Elle ne supporta pas d’être chassée de ses rêves aux aurores et entra bientôt en dépression. Elle négligea son ménage, délaissa la visite coutumière du dimanche midi à ses beaux-parents et dérogea même aux soins conjugaux du samedi soir. Le bénéficiaire s’en alarma et visita derechef notre professeur d’histoire. Qui refusa tout net de sacrifier son fier gallinacé. Les incidents se multiplièrent bientôt entre les deux hommes jusqu’au jour où les volailles se répandirent dans les rues du village. L’enquête du premier adjoint démontra clairement qu’une main criminelle avait ouvert un passage dans le grillage qui les protégeait. On le rafistola tant bien que mal et tout rentra dans l’ordre. Jusqu’au jour où un renard plus malin que les autres trouva une faille dans la clôture, s’introduisit dans le poulailler et y sema une telle perturbation qu’un fatal infarctus terrassa le maître coq à la vue de son harem étendu sur la paille. Notre professeur accusa d’emblée le boulanger et voua sa famille aux gémonies de l’Histoire jusqu’à la quatrième et cinquième génération. Ne pouvant en supporter autant, ce dernier décida qu’il ne saurait désormais passer ses nuits à pétrir la pâte et faire cuire du pain au feu de bois pour des ornithorynques et autres politesses de son vocabulaire de boulanger. Il remisa son pétrin et ferma sa boutique. Comme il était l’unique et dernier boulanger du village, les habitants sont contraints depuis ce jour funeste d’aller quérir leur pain à la ville. On voit par-là combien le monde progresse joyeusement vers son avenir qu’il espère toujours plus radieux.

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