On sait depuis longtemps déjà que les enfants de l’homme moderne ne naissent ni dans les roses ni dans les choux mais poussent en réalité sur des arbres généalogiques. En dépit d’un désaccord persistant au sujet des dates, archéologues et historiens l‘ont largement démontré. Il y a près de 400 000 ans, en Israël, un hominidé perdait huit de ses dents. Était-ce pour les remplacer par un dentier ? On ne le saura sans doute jamais. Mais selon les archéologues, cet être qui explorait la grotte de Quessem près de Tel Aviv n’était pas encore vraiment un homme. Il lui faudra attendre 200 000 ans de plus pour s’appeler Sapiens et prétendre au titre envié d’homme moderne. Il devait par la suite, à l’instar des enfants de l’école maternelle de mon village à l’approche de la fête des mères, peindre ses mains au pochoir un peu partout sur les murs de ses habitations. Preuve s’il en est que l’homme est demeuré moderne jusqu’à nos jours. Pour les historiens par contre, l’homme ne serait moderne que depuis peu. Il lui fallait d’abord traverser la préhistoire afin de perdre ses habitudes de sauvage. Puis vint le jour où, il y a 6000 ans entre le Tigre et l’Euphrate, un mari attentionné griffonnait quelques bâtonnets sur une tablette d’argile pour indiquer à son épouse le nombre de livres de dattes à acheter au marché de la Place Ziggourat. Il marquait ainsi sans le savoir l’entrée de l’humanité dans l’Histoire avec un grand H. Se déroulent ensuite les siècles de l’Antiquité entre les pharaons d’Égypte qui ponctuent leur empire de nécropoles pyramidales, les Grecs qui écrivent l’Iliade et l’Odyssée et inventent les Jeux Olympiques, les Romains qui écoutent Cicéron déclamer ses catilinaires et Néron ses poèmes à la lueur d’une Rome en flamme et les Gallo-romains qui ne s’attendent pas à voir Clovis dévaler les plaines d’outre Rhin à la recherche du vase de Soissons. Roland ne revenant toujours pas de Roncevaux, les Francs s’engagent ensuite à pas de loup dans le Moyen-âge avant de s’engouffrer avec éclat dans la modernité en compagnie de François 1er les 13 et 14 septembre de l’an de grâce 1515 à Marignan. Plus tard, le glorieux Roi Soleil s’étant trop longuement admiré dans sa galerie des glaces, les révolutionnaires se voient contraints de raccourcir son descendant Louis Capet. Ils se transforment alors, ce 21 janvier 1793, en modernes contemporains. Ils le sont encore de nos jours à ceci près qu’ils ont de plus en plus tendance à devenir post-modernes. Les nouvelles générations nourries au 0.2 ignorent presque les grands classiques comme Philippe Sollers, Michel Onfray ou Guillaume Musso. Le tango et le bal musette qui faisaient jadis guincher les maisons de retraites disparaissent avec leurs pensionnaires. Les Trains à Grande Vitesse eux-mêmes sont remis en question. En un mot, entre réchauffement climatique et conquête de l’Espace, les temps actuels paraissent si incertains que l’on craint que l’Histoire ne se perde dans les perfides brumes du CO2. Le passé qui se jouait chaque jour au conditionnel n’était déjà pas très simple. Quel sera le futur d’un présent aussi imparfait ? Le monde s’interroge tandis qu’il avance cahin-caha mais toujours joyeusement vers son avenir qu’il espère malgré tout radieux.
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