J’étais bien décidé à ne plus ramener ma science de comptoir sur des sujets politiques. Hollande et les frites, Valls et l’entreprise, le retour de Sarko, la grande bouffe entre Jouyet et Fillon, les gamins qui font faire le djihad et les khmers verts qui font rien qu’à se jeter sur les grenades des pandores pour faire chuter la popularité de Cazeneuve, Zaz et sa légèreté, démerdez-vous avec ça, je m’en cogne autant que d’un rapport analytique sur la perte de ses cheveux par Juppé depuis 30 ans en francs courants ou constants.
Et puis il y a eu Mélenchon. On sent bien que depuis son présumé burn-out, le gars a du mal à reprendre du poil de l’animal. Le tribun est fatigué, le pitbull a perdu ses canines, et le seul bonhomme qui nous faisait rigoler pour de bonnes raisons dans le monde politique est devenu aussi chiant que Pierre Laurent sous anxiolytiques, aussi peu charismatique que Dupont-Aignan en pleine déprime, aussi soporifique que François Fillon en pleine forme. En même temps, il faut reconnaître que quand tu es allié au Parti Communiste et que tu essaies de t’acoquiner avec les Verts dans le but estimable de sauver le monde, c’est que tu as des tendances masochistes et un goût irrépressible pour les complications; invariablement la dépression guette, la vanité du monde te saute au visage, tu te jettes à corps perdu dans la boisson, la drogue, les filles faciles ou la VIème République.
Donc, la Méluche, à qui ça arrache désormais la gueule de dire qu’il est de gauche, s’est courroucé tout rouge (et vert, écosocialisme oblige) contre ces salopards de concepteurs du jeu vidéo Assasin’s Creed Unity. Pourquoi pas contre Call of Duty, par antimilitarisme de bon aloi? Pourquoi pas contre Inferno, qui véhicule l’idée extravagante qu’il y aurait un dieu et un diable et tout le merdier afférent? Pourquoi pas contre FIFA 15, qui n’omet pas de suspendre Suarez pour sa crise de cannibalisme, mais qui ne dit rien de l’influence néfaste des agents de joueurs et de la mafia corse dans le football professionnel?
Parce que les mécréants qui ont créé le jeu ont eu la vilaine idée de placer l’action au cœur de la Révolution française, et auraient laissé entendre que le peuple, en ces temps troublés, était une assemblée de fauteurs de trouble, des sauvageons, des racailles, du gibier de Karcher, de la brute épaisse juste bonne à dépecer, buter, dégommer en gueulant comme des poissonnières. Et dire ça devant Mélenchon, c’est de l’apostasie. Putains de blasphémateurs, faudra pas vous étonner si des jeunes communistes en perdition partent faire le djihad en Chine. Ou la lutte des classes, je sais plus mais si t’es pas trop con tu verras que c’est à peu près le même principe.
La plupart des avis d’historiens que j’ai consultés dans la presse relèvent qu’effectivement, même pendant la Terreur Paris n’était pas à feu et à sang à longueur de journée, mais que le reste était plutôt pas mal foutu. Et tous notent que c’est un jeu, et pas de quoi en faire une horloge comtoise. J’aimerais bien entendre le leader du Parti de Gauche quand des bouses à moitié négationnistes comme « la Vie est Belle » de Roberto Benigni repasse pour la 30ème fois depuis sa sortie, ou quand la télé est monopolisée par les séries policières (comme si il n’y avait pas assez de condés à tous les coins de rues) et les concours entre toutes les corporations de bourgeois du pays.
Alors j’avoue que j’ai du mal à comprendre le culte que Mélenchon voue à la Révolution française et au peuple. Attention, je ne dis pas que la Révolution c’est de la pisse de phacochère: sans elle, on se coltinerait toujours des consanguins à perruque persuadés de détenir leur haute autorité d’un hypothétique dieu qui aurait fait de la France sa fille préférée. Mais si tu veux être un peu(à peine) de mauvaise foi, tu pourrais aussi dire que la Révolution, c’est la destruction à marche forcée des langues régionales au profit de celle – pas moins régionale- des bourgeois; c’est les absurdes droits au travail (et pas du travail) et droits de chasse; c’est la guillotine à tour de bras et les galères si t’es pas jouasse ; c’est l’obligation de tutoyer et de te faire tutoyer par le premier venu comme si l’on était des gueux; c’est l’injonction d’appeler « citoyen » ton voisin même si c’est un con fini; c’est un calendrier encore plus compliqué que la théorie des neutrons stériles à la lumière de la théorie des ensembles.
Et le « peuple révolutionnaire », qui se cache donc sous cette entité mystérieuse? Parmi les aimables trublions qui ont fait péter la Bastille et qui ont décapité Louis XVI comme de vulgaires portes-serviettes de l’Etat Islamique, combien de révolutionnaires convaincus, combien d’opportunistes et combien de suiveurs? Pour n’en citer qu’un, prenons l’exemple du Marquis de Sade, aristo de Province qui payait sa cotisation à la section des Piques, qui haranguait la foule par la fenêtre de sa cellule de la Bastille, et qui n’a cessé de couiner tout le reste de sa vie pour récupérer le peu de bien qu’il lui restait, réquisitionné par la république: il est du peuple ou pas? De même, dans une perspective « conforme au matérialisme dialectique », le remplacement de l’aristocratie par l’élite économique du patelin, élite qui ne s’est pas gêné pour aller demander des titres de noblesse à Napoléon quand il a pris le pouvoir, c’est vraiment un progrès pour le « peuple »?
Contrairement à ce qu’écrit Blequin dans une de ses dernières chroniques, je ne crois pas que les révolutions soient le fait d’élites éclairées. Je penche plutôt pour l’hypothèse de Talleyrand-Périgord qui affirme qu’il n’y a « rien de tel qu’une révolution pour conserver l’ordre ancien des choses », avec le consentement des moutons. Certainement plus par déformation professionnelle que par paresse intellectuelle, Mélenchon a les mêmes yeux de Chimène pour la Révolution que le pape pour son patron ou que Zemmour pour « l’ancien temps ».
Si tu adoptes un point de vue d’historien, tu pourras considérer que la Révolution est un instant dans l’Histoire, fruit de la conjonction de circonstances données qui ont fait que ça a pété, et plutôt favorablement aux pécores. Si tu adoptes un point de vue philosophique, tu pourras trouver dommage de passer une bonne partie du pays par les armes pour imposer la justice et la liberté (avec le résultat que l’on sait). Si tu adoptes mon point de vue, tu trouveras toujours la Commune de Paris plus jolie que l’égalité forcée à coups de drapeaux tricolores et Marseillaise à fond les ballons.
Et puis la VIème République, je veux bien à condition qu’on reconnaisse que le travail obligatoire n’est pas une libération mais une servitude et que la chasse n’est pas un droit mais un meurtre en bande organisée; sans quoi je retournerai à l’époque bénie où jeune chômeur débutant pas trop émerveillé à l’idée d’aller grossir les rangs du prolétariat, je fumais des pétards gros comme des bras d’enfants en jouant à la Playstation pendant 36 heures d’affilée.
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