Mémoire du futur

      Depuis l’Afrique et en 170.000 ans, les descendants de Sapiens ont atteint le nombre jamais égalé de 7.260 542 629 individus vivants (au 25 novembre 2014 à 5h033mn11s) et gaillardement colonisé la planète Terre de bout en bout. Ils ont ainsi gravi les 550 mètres de la colline la plus élevée des Monts qui entourent ma vallée et les 8848 mètres de l’Everest. Ils ont foré le sol de la plaine de Mourmansk en Russie jusqu’à des 12262 mètres de profondeur, ce qui représente tout de même 40873 fois la hauteur de la bêche d’un jardinier ordinaire. Ils ont non seulement marché sur la lune mais aussi fait parcourir 6.400 milliards de kilomètres à une sonde interplanétaire avant de déposer délicatement sur une comète perdue dans l’espace intersde idéral un petit laboratoire bourré d’électronique. (Faire des plans sur la comète ne relèvera plus désormais l’utopie pour un gouvernement en mal de résultats). Ils sont même parvenus à coup d’émissions de gaz à effet de serre à modifier le climat et à faire fondre la banquise comme un pilier de bistrot les glaçons de son anisette. Ils ont par ailleurs traduit les tablettes cunéiformes de Nabuchodonosor, interprété les hiéroglyphes animaliers des scribes de Toutankhamon, décortiqué les nœuds des messages secrets de l’Inca Huayna Cápac à sa belle-mère restée à Tiahuanaco et déchiffré les idéogrammes de l’empereur Qin Shi Huang fixant le montant des impôts sur les résidences secondaires. Dans ce registre culturel, il ne leur reste plus, à ce jour, qu’à pénétrer le langage de l’administration et à percer le sens profond des romans de Catherine Pancol. C’est assez dire qu’Homo Sapiens est capable de grandes choses. Il est pourtant un domaine où il demeure en échec, la mémoire. Non pas que notre société soit frappée par la maladie d’Alzheimer, même si certains aspects de la situation présente le laissent à penser. Les archéologues et autres explorateurs du passé redécouvrent chaque jour des peuplades anciennes et les musées, tel celui de Sarran en Corrèze, regorgent de témoignages poignants surleurs modes de vie et leur histoire.  Ils ont exploré la plus ancienne pyramide d’Égypte construite il y a 6000 ans, estimé l’âge du mur de Konkan, sur la côte occidentale de l’Inde à 8000 ans, et les ruines sous-marines de Yonahuni en Micronésie à 10000 ans et même retrouvé le crâne de Toumaï, le garde-champêtre de la ville de Ndjamena, décédé il y a près de 7 millions d’années. Preuve s’il en est qu’ils savent remonter dans le temps. La vraie difficulté pour l’homo-sapiens post-moderne d’aujourd’hui concerne en réalité la mémoire de ses héritiers. Que faire et comment pour qu’ils se souviennent de lui et qu’ils n’oublient pas, par exemple, où se situent sur la planète les déchets radioactifs de ses réacteurs atomiques qui resteront dangereux plus de 300.000 ans encore. Quand on sait que nul n’est en mesure de savoir pourquoi le peuple Rapa nui a sculpté les fameux Moaïs de l’île de Pâques il n’y a guère que quelques siècles, quand on sait que nul n’est capable de donner une interprétation logique et raisonnable aux alignements de menhirs de Carnac comme à l’ensemble de Stonehenge, on ne peut qu’être inquiet. Que restera-t-il dans 400 ans, dans 1000 ans, dans 10000 ans de notre civilisation du 2.0 ? Quel béton et quel métal résisteront assez longtemps à l’usure, aux voleurs et autres prédateurs ? Quel monument de granit pourra supporter les intempéries, les tremblements de terre et autres éruptions volcaniques ?  Quel sens pourront donner nos successeurs à nos monuments dont il ne restera, au mieux, que des ruines ? Comment pourraient-ils savoir qu’il s’agit de petits cailloux blancs destinés non pas à un usage religieux mais à leur indiquer le chemin d’un danger mortel ?  Comment le monde pourra-t-il alors poursuivre sa route joyeuse vers un avenir toujours plus radieux ?

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